Chars de carnaval époque nazie

Par François Heilbronn

L’antisémitisme d’extrême droite se ravive partout en Europe, et le carnaval d’Alost en a été l’épisode symbolique le plus populaire.

Le carnaval d’Alost en 2020, comme celui de l’année précédente, n’a pas hésité à utiliser l’imagerie antisémite la plus grossière dans un moment festif. C’est d’autant plus frappant qu’il s’agit d’une répétition, accentuée cette année. On a revu des Juifs au nez crochu entourés de sacs d’or, on a distribué des étoiles de David, mis en vente des chaussures déjà portées ; de nombreux festivaliers étaient déguisés avec des costumes et des faux-nez qui rappellent l’imagerie antisémite dans les carnavals allemands de l’époque nazie. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la déshumanisation des Juifs, où des hommes étaient déguisés en Juifs hassidiques mais avec des corps de fourmis. C’est une pratique classique des génocidaires : déshumaniser l’homme pour mieux le tuer. Les nazis ont comparé les Juifs à des rats, et les Hutus comparé les Tutsis à des cafards.

Carnaval d'Alost 2020
Carnaval d’Alost, 2020.

Dans une interview donnée à la chaîne I24, une habitante d’Alost a expliqué qu’ils n’étaient pas antisémites, que c’était juste pour s’amuser. À la question de la journaliste qui lui faisait pertinemment remarquer que mettre en scène des Juifs avec de l’or et de l’argent correspond aux caricatures antisémites, cette habitante a répondu qu’il ne s’agit pas d’une caricature, mais que « c’est vrai, regardez à Anvers, tous les Juifs ont plein de diamants ».

Ce n’est pas arrivé à Alost par hasard. Alost se situe en Flandres, une région de Belgique qui a particulièrement collaboré avec les nazis. Cette ville est dirigée par la N-VA (Nieuw-Vlaamse Alliantie), parti de droite nationaliste flamand. Le maire d’Alost, Christoph D’Haese, a déclaré ne voir aucun problème à ces représentations qui, selon lui, « ne peuvent être qualifiées d’antisémites ».

Quelques jours plus tard en Espagne, un autre carnaval, dans la ville de Campo de Criptana, a présenté un char avec des fours crématoires, des gens déguisés en déportés juifs et d’autres en nazis. Ce type de parade de rue ne s’était plus vu en Europe depuis les mêmes carnavals de l’Allemagne nazie. Ils sont le révélateur d’une libération des clichés antisémites les plus éculés et de la montée de la pensée d’extrême droite en Europe.

Char nazi, carnaval de Campo
de Criptana

Beaucoup ont argué de l’humour

Rire des Juifs, des musulmans, des chrétiens, de ce que l’on veut n’est pas en soi un problème. Au Mémorial de la Shoah, c’est un sujet que nous abordons énormément avec les élèves que nous avons en formation. Nous avons un atelier pédagogique sur les préjugés, où nous leur montrons qu’à partir des préjugés, on passe à la caricature, puis de la caricature à l’insulte, puis de l’insulte à la haine, et enfin de la haine au crime.
De tous temps, les caricatures à caractère raciste, antisémite, ont été les premiers pas vers les pogroms, les ratonnades, les assassinats, les attentats, et dans certains cas, les génocides.

Propagande nazie représentant les Juifs en insecte mille-pattes dévorateur du monde – un symbole “judéo-bolchévique” dans un œil et “judéo-capitaliste” dans l’autre.

Ici, le propos n’est pas de critiquer les Juifs ou le judaïsme, mais de reprendre les vieux poncifs antisémites : les Juifs accaparant l’argent ; les Juifs transformés en insectes. Cette déshumanisation a été théorisée par les nazis : il est très difficile de tuer un homme, et plus encore un enfant, même si vous les détestez –  il y a les scrupules moraux. Mais si vous dites au futur criminel qu’il ne s’agit pas d’être humains, mais de microbes, de bacilles, d’un virus mortel pour votre civilisation, de rats (l’image est très parlante dans l’imaginaire européen marqué par la peste noire), alors il pourra tuer ces organismes nuisibles. À Alost, les Juifs hassidiques représentés en insecte relèvent de la fantasmagorie antisémite violente.
Dans le film Rabbi Jacob, la situation est toute autre : il s’agit d’un déguisement folklorique amusant, il n’y a pas de déshumanisation.

Les chiffres actuels de l’antisémitisme en Europe

Il est toujours très difficile de mesurer l’opinion antisémite. La meilleure manière est de confronter les publics à des clichés antisémites classiques. C’est ce qu’ont fait Fondapol en France et l’Anti-Defamation League (ADL) pour le monde. L’ADL a conduit des études dans 100 pays en 2014, 2018 et 2019. Elle propose 11 clichés antisémites classiques. Si vous répondez positivement à six d’entre eux, vous êtes considéré comme antisémite. La moyenne en Europe de l’Ouest est à 26%, en Europe de l’Est à 34%. Les deux pays où l’opinion antisémite est la plus forte sont ceux où l’extrême droite est au pouvoir : la Hongrie avec 42% et la Pologne avec 48%. Un pays proche non dirigé par un régime d’extrême droite, la République tchèque, n’est qu’à 13%. De plus, en Pologne, l’opinion antisémite est passée de 37% en 2015 à 48% en 2019, enregistrant une progression très forte de 11%. C’est le pays d’Europe où l’augmentation a été la plus forte, et c’est sûrement lié au gouvernement actuel, qui est d’extrême droite, et à certains propos négationnistes tenus au niveau institutionnel.

Deuxième sujet d’inquiétude en Europe : les attaques antisémites perpétrées par l’extrême droite se multiplient en Allemagne. Stephan Balliet, le terroriste d’extrême droite qui a tué 2 personnes devant un restaurant turc à Halle après avoir tenté d’entrer, en vain, en plein Yom Kippour, dans la synagogue où priaient 52 fidèles, est négationniste, raciste et xénophobe, et il multipliait les écrits complotistes et antisémites. Balliet, adepte de l’extrême droite, a indiqué, lors de son procès, qu’il avait décidé en 2015 qu’il « n’aurai[t] plus rien à faire avec cette société dominée par les musulmans et les nègres » et que « les juifs sont les organisateurs de ce qui s’est passé » (l’accueil de près de 1 million de réfugiés en Allemagne). Dans une vidéo publiée sur internet, il avait notamment affirmé que « l’Holocauste n’a jamais existé » et que « les Juifs sont à l’origine de tous les problèmes ».

En Allemagne encore, à Hanau, le terroriste Tobias Rathjen a tué 9 personnes et en a blessées 5 autres en attaquant deux bars à chicha, après avoir assassiné sa mère. Son profil a révélé des obsessions conspirationnistes et paranoïaques. Il était persuadé de l’existence de puissances obscures possédant, selon lui, des bases secrètes où l’on tuerait des enfants et adorerait le diable – une croyance très ancrée dans les souterrains antisémites d’internet. Raciste, eugéniste, suprémaciste blanc, il estimait que les “peuples inférieurs”, notamment “les Arabes et Israël”, devraient être exterminés. D’abord dirigé contre la population musulmane, notamment d’origine turque ou kurde, la communauté juive l’a ressenti aussi comme une attaque la visant.

Hélas, ce ne sont pas épiphénomènes en Allemagne. Selon la police allemande, les militants d’ultra droite représentent 32 000 personnes, dont 13 000 considérés violents.

Enfin, l’AfD, le parti d’extrême droite allemand qui se nourrit de xénophobie et d’antisémitisme, est en très forte progression. En septembre et en octobre 2019, dans trois régions allemandes, il a passé la barre des 20% : en Saxe, dans le Brandebourg mais surtout en Thuringe où, avec 24%, ce parti dépasse la CDU d’Angela Merkel. Son dirigeant, Björn Höcke, fidèle aux origines de son parti, prône l’homogénéisation ethnique de l’Europe et relativise la Shoah. Il a par exemple qualifié le Mémorial de Berlin de « monument de la honte », au sens où il serait honteux d’honorer la mémoire des victimes du nazisme.

L’antisémitisme en France : le RN

En France, malgré les efforts de Marine Le Pen pour adoucir l’image d’un parti né de la milice et de la collaboration, ce parti a toujours à sa tête des dirigeants militants antisémites violents. Le plus important est Frédéric Chatillon, très proche d’elle et qui fut le financier de sa campagne en 2017. Aymeric Chauprade, ancien conseiller de Marine Le Pen, en a témoigné : « [Chatillon] est un ami intime d’Alain Soral, et il est violemment antisémite. »

Le Front national a décidé de changer de nom pour devenir le Rassemblement national. Comment ne pas penser au Rassemblement national populaire du collaborateur et milicien Marcel Déat ? Ce choix n’est pas anodin.

Marcel Déat, député de Paris : photographie de presse – Agence Meurisse

De plus, Marine Le Pen avait nommé président intérimaire de son parti Jean-François Jalkh, pro-Pétain et négationniste. Il est actuellement rien moins que le député européen du Rassemblement national.

Au-delà des dirigeants de ce parti, quelque chose est frappant : ses électeurs constituent l’un des deux groupes les plus antisémites de la population française avec les Français d’origine musulmane. Selon l’étude Fondapol de 2014, là où 25% des Français considèrent que les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de l’économie et de la finance, ce pourcentage est de 67% pour les musulmans et de 50% pour les électeurs du RN. Et si 21% des Français sont encore hostiles à l’idée d’un président de la République juif, ce chiffre monte à 33% pour les musulmans et à 53% pour les électeurs du RN.

16% des Français adhèrent à un préjugé très lourdement complotiste et antisémite (l’idée selon laquelle il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale). Ce pourcentage est de 40% pour les Français d’origine musulmane, 37% pour les électeurs du Rassemblement national et 18% pour ceux de la France insoumise.

Le Rassemblement national est donc un parti qui, au sein de ses dirigeants comme d’une majorité de ses électeurs, est porteur de préjugés et de clichés antisémites.

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