Par Jean-Yves Camus

Le politologue Jean-Yves Camus analyse la manière dont différents partis d’extrême droite et de droite radicale européens ont réagi à la crise du Covid-19.

Les partis politiques de la droite radicale et de l’extrême droite ont rapidement compris, en Europe, le profit qu’ils pouvaient tirer de la critique de leurs gouvernements respectifs dans la gestion de la crise sanitaire. Ces critiques ont été adaptées selon les pays en fonction du nombre de victimes de l’épidémie et des mesures de confinement.
Pour mémoire, le nombre de morts va de plus de 41 000 (Royaume-Uni), 35 000 (Italie), 30 000 (France), 28 000 (Espagne), jusqu’à des chiffres inférieurs à 1 000 (République tchèque, Serbie, Finlande, Moldavie, Grèce, Luxembourg), voire à moins de 200 dans les pays baltes et une partie des Balkans**.

L’impact politique et psychologique de la maladie est évidemment différent selon ces chiffres. Il diffère aussi selon que les pays ont pris des mesures de confinement drastiques limitant les déplacements individuels ou ont choisi un confinement limité aux activités collectives (Pays-Bas, Suède), ainsi que selon le calendrier du confinement et son retard par rapport à la progression de l’épidémie (Royaume-Uni). D’une manière générale, la communication des partis de la droite radicale ou extrême a porté sur trois axes principaux : la remise en cause de l’origine animale de l’épidémie à partir de la Chine, par le recours à plusieurs théories complotistes ; la critique de la mondialisation et de l’ouverture des frontières, présentées comme la cause première de la propagation du virus ; et, selon les pays et les partis, la demande contradictoire de mesures gouvernementales plus strictes pour limiter l’épidémie, combinée à une critique des atteintes supposées que le confinement impose aux libertés individuelles des citoyens. Il est important de garder en tête que la réponse politique des partis étudiés dans cette note est amenée à évoluer selon le résultat du déconfinement et l’apparition ou non d’une deuxième vague de contamination.

L’origine de l’épidémie : les théories alternatives

La droite radicale aime l’idée des « causes cachées » selon laquelle tout événement historique, tout fait même vérifié, est en réalité provoqué par des causes mystérieuses que « le pouvoir », notamment les médias et « les élites », voudraient cacher au peuple pour lui masquer l’action déterminante, souterraine et concertée de lobbies qui dirigeraient le monde[1].

Or, la pandémie du Covid-19 se prête aux questionnements sur l’origine du virus qui, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est d’origine animale et est située en Chine, à Wuhan. Des théories alternatives circulent, notamment sur les réseaux sociaux qui contestent le constat de l’OMS, au motif notamment que cette organisation internationale serait sous l’influence de la Chine. L’influence chinoise au sein de l’organisation l’aurait ainsi rendue dépendante des données fournies par la Chine, retardant le déclenchement des mesures internationales contre la pandémie. Cette idée est en elle-même acceptable et mérite un débat. Elle a été rapportée, sous forme de questionnement, par de nombreux médias reconnus et de think tanks d’orientation politique différente[2], y compris de la droite radicale identitaire[3]. Ce questionnement légitime a conduit plusieurs acteurs de la droite radicale à réactiver le thème de l’Occident en lutte contre le communisme, incarné non plus par Moscou mais par la Chine.
Ainsi, le député européen des Démocrates suédois Charlie Weimers a-t-il accusé la Chine d’avoir utilisé l’opacité et le mensonge pour minorer l’ampleur de l’épidémie, attitude qui, selon lui, découle de la nature même du communisme.

Cette déclaration semble se situer dans l’optique des critiques adressées par la droite conservatrice américaine, et par le président Trump lui-même, à l’égard de la Chine en tant qu’adversaire idéologique et pas seulement en tant que rival commercial.

D’autres partis ou personnalités ont évoqué non seulement la responsabilité du gouvernement chinois dans une réponse tardive et inappropriée à la pandémie, mais aussi l’idée selon laquelle le virus se serait échappé accidentellement du laboratoire de virologie de Wuhan. Cette théorie, énoncée comme une probabilité par le secrétaire d’État américain Mike Pompeo notamment, a été propagée à la mi-avril 2020 en France par le professeur Luc Montagnier, Prix Nobel de médecine 2008, et a été abondamment commentée par les élus du Rassemblement national Julien Odoul et Gilbert Collard, comme par l’ancien député européen, Jean-Yves Le Gallou, animateur de la Fondation Polémia.

Leurs commentaires ne sont pas une approbation, mais l’expression d’un doute : et si le scientifique français avait raison contre la « vérité officielle » énoncée par l’OMS et les gouvernements européens ? Le Rassemblement national n’a toutefois pas emboîté totalement le pas aux propos du professeur Luc Montagnier, mais la députée européenne Annika Bruna demande, pour sa part, la création d’une commission d’enquête internationale sur les origines de l’épidémie, réclamant surtout que la Chine donne à cette commission l’accès à son territoire, et privilégie l’hypothèse d’une transmission animale liée à l’activité des « marchés humides » et celle du contact de l’homme avec des animaux sauvages impropres à la consommation[4].

D’autres théories, cette fois carrément complotistes, se diffusent et, parmi elles, celle qui attribue à Bill Gates un plan secret selon lequel le milliardaire américain voudrait profiter d’un vaccin contre le Covid-19, issu de la recherche financée par sa fondation, pour y intégrer une puce RFID (Radio Frequency Identification) devant « traquer » la population mondiale[5].

Cette idée, qui est partagée par des complotistes qui n’appartiennent pas à l’extrême droite, est notamment défendue sous une autre forme par Marian Kotleba, leader d’extrême droite du Parti populaire « Notre Slovaquie » (LSNS, 8 % des voix), persuadé que le traçage des personnes testées positives au Covid-19 aboutira à ce qu’on implante des puces sous la peau de tous les citoyens.

La perspective d’une société orwellienne :
la droite radicale en défense des libertés publiques

La société orwellienne est celle, de type totalitaire, décrite par l’écrivain britannique George Orwell dans son roman 1984, publié en 1949. Elle repose notamment sur l’omniprésence d’un État surveillant les citoyens, leurs comportements et leurs pensées, abolissant la liberté d’expression.
La crise du Covid-19 a permis à la droite radicale et extrême de développer l’idée selon laquelle les « élites » profiteraient sciemment de l’urgence sanitaire pour accélérer l’imposition d’une forme autoritaire de gouvernement.

Cet autoritarisme peut se manifester, selon ces critiques, de plusieurs manières. L’ancien militant phalangiste et désormais élu européen de Vox, Jorge Buxadé[6], reproche ainsi au gouvernement de gauche de Pedro Sanchez d’avoir soustrait au contrôle parlementaire les mesures de confinement qui ont limité la liberté de circuler.

Le Rassemblement national français, qui a publié un « Livre noir » de la crise du covid19, a protesté contre la pédagogie adoptée par le gouvernement qui, au moment de faire voter début mai 2020 une prolongation de deux mois de l’état d’urgence sanitaire, a choisi, selon le député Bruno Bilde, d’utiliser « la culpabilisation, l’infantilisation et les menaces » à l’égard des Français, en insinuant que l’État pourrait reporter la fin du confinement, voire supprimer les départs en vacances, si les citoyens ne respectaient pas assez les mesures de précaution[7].

D’autres mouvements plus marginaux et activistes, qui n’ont pas à se soucier de leur crédibilité à gouverner, ont carrément manifesté contre la « dictature sanitaire », tel le parti néofasciste et catholique intégriste italien Forza Nuova, voire, comme le président du Parti de la France Thomas Joly, ont dénoncé le principe même du « confinement de type totalitaire » qui « ruine le pays » et, « sous le prétexte fallacieux de la santé publique », va permettre à l’État de « pérenniser un grand nombre de mesures liberticides »[8].

De manière plus étonnante pour ceux qui ignorent son évolution tactique, le parti nationaliste hongrois Jobbik, qui cherche désormais à vaincre Viktor Orban en s’alliant au besoin à l’opposition de centre-gauche, s’est exprimé par la voix du député Koloman Brenner pour dénoncer les atteintes à la liberté des médias que le gouvernement du Fidesz (droite conservatrice) a justifiées par la pandémie[9].

Cette question du pluralisme de l’information a été à l’ordre du jour en France aussi lorsque le gouvernement a mis sur son site internet une rubrique « Désinfox Coronavirus » destinée à recenser des articles jugés « sûrs et vérifiés » mais issus de cinq médias seulement, dont aucun de droite. Cette manière maladroite de lutter contre les fake news a été présentée comme étant une instauration du ministère de la Vérité annoncée par George Orwell, par exemple sur la chaîne télévisée nationaliste et identitaire TV Libertés (uniquement présente sur Internet), le mensuel national-conservateur L’Incorrect, le site identitaire Paris Vox et l’ensemble de la sphère dite de « réinformation » proches de la droite nationaliste.

Si ceux-ci ont réagi avec leurs idiomes, il faut souligner que l’ensemble des rédactions de la presse française, de toutes opinions politiques, ont vivement désavoué l’initiative gouvernementale, qui tendait à instaurer une information officielle en indiquant aux lecteurs ce qu’ils devaient lire et ce qu’ils devaient éviter.

Contre les « élites » et leur « responsabilité » 

Dans pratiquement tous les pays, la droite radicale et extrême a tiré à boulets rouges sur les gouvernements en place, les accusant de ne pas avoir été à la hauteur dans la gestion de l’épidémie. Le meilleur exemple de ce positionnement politique est l’attitude de Marine Le Pen, selon laquelle le président Macron et l’ensemble du gouvernement ont pratiqué le « mensonge d’État », c’est-à-dire ont donné aux Français des informations incomplètes ou fausses afin de masquer leur incompétence dans le domaine de la santé publique, par exemple en cachant la pénurie de masques, puis en promettant l’arrivée de tests qui, à ce jour, n’ont pas été massivement distribués et, plus gravement, en cachant les raisons qui ont motivé les autorités sanitaires à refuser la distribution massive du traitement par l’hydroxychloroquine, un médicament contre le paludisme recommandé par le professeur Didier Raoult.

Alors que ce refus est motivé à la fois par les graves effets secondaires du traitement et par les critiques méthodologiques émises à l’encontre des essais thérapeutiques conduits par ce médecin non conformiste, le député européen du Rassemblement natinal, Gilbert Collard, a publié sur le site du parti une tribune libre mettant en cause les supposés « intérêts » conjoints de l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn et de son mari Yves Lévy, ancien directeur de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à écarter le professeur Raoult[10] afin d’asseoir leur pouvoir exclusif sur le milieu de la recherche médicale.

Le Rassemblement national a donc été, dès le mois de mars 2020, le seul parti politique français à refuser absolument toute politique d’union nationale face à la pandémie, non pas en raison de son opposition à la politique gouvernementale de restrictions budgétaires qui a diminué les capacités des hôpitaux publics à faire face à l’afflux de malades, mais parce que le parti de Marine Le Pen, parce que c’est un parti antisystème, doit pour garder sa crédibilité s’opposer frontalement à tout pouvoir en place. La vision du monde du Rassemblement national repose sur l’opposition entre le peuple et les élites, les « enracinés » et les « nomades », les « patriotes » et les « mondialistes » : il ne peut donc que partir du préjugé selon lequel le gouvernement trahit les intérêts du peuple en lui mentant sur la pandémie. Le président de la République et le ministre de la Santé expliquent avec raison qu’on est face à une crise sanitaire inédite avec un virus que les meilleurs scientifiques du monde n’ont pas encore réussi à cerner. L’électeur lepéniste, lui, ne croit pas aux incertitudes : pour lui le pouvoir « sait » ou « doit savoir ». S’il hésite dans ses décisions, c’est qu’il « cache » quelque chose en plus d’être incompétent.

Là où le confinement a été le plus strict, les droites radicales ont instruit un réquisitoire contre ce pouvoir jugé incompétent et menteur.

Outre le Rassemblement national en France, ce sont les nationalistes conservateurs espagnols de Vox qui ont utilisé les adjectifs les plus forts contre le gouvernement  (« gestion criminelle »« obscurantisme »« perte de toute crédibilité »« insulte » faite aux Espagnols) et plus encore contre la Généralité de Catalogne dirigée par les indépendantistes, accusée de « sectarisme » et de « haine ». Cette virulence peut s’expliquer par la tactique du mouvement, qui cherche à gagner des voix allant pour l’instant au parti conservateur, le Partido Popular, obligé à davantage de retenue, comme le sont en France les Républicains face au RN.

La situation en Italie incitait également la Lega de Matteo Salvini à attaquer durement la coalition formée par ses anciens alliés du Mouvement 5 Étoiles (M5S) et le Parti démocrate de centre-gauche. Sorti du gouvernement, Matteo Salvini a tenté dans la nuit du 29 au 30 avril dernier un coup d’éclat en occupant avec une dizaine d’autres élus l’hémicycle du Sénat pour dénoncer le blocage de l’économie, les retards dans le versement des aides promises, les limitations de la liberté de circuler et la mise entre parenthèses des pouvoirs parlementaires par le gouvernement Conte pendant la durée de la crise sanitaire. Son efficacité politique a toutefois été diminuée par le fait que la Lombardie, région que le parti dirige, dont elle est le fief et dont le gouverneur Attilio Fontana n’a pas semblé performant, alors même que Milan et sa région étaient l’épicentre de la pandémie en Italie. Changeant souvent de discours entre le mot d’ordre d’un « lockdown » total pour sauver des vies et celui de retourner vite au travail, pour plaire aux petits entrepreneurs, commerçants et employés qui sont sa clientèle électorale, Matteo Salvini a également été accusé de double discours car lui qui reproche au gouvernement en place d’avoir agi sans le Parlement avait, en août 2019, quitté la majorité en demandant aux Italiens de lui donner les « pleins pouvoirs » lors d’élections législatives anticipées qu’il n’avait pas obtenues. Un sondage réalisé le 8 mai 2020 par la société Omnibus prouve que si la Lega reste en tête des intentions de vote avec 26,7 %, elle est en baisse depuis le début de la crise sanitaire, tandis que le Parti démocrate et le M5S sont en légère hausse (21,3 % et 16,2 %).

La surprise provient d’un autre parti de droite, Fratelli d’Italia, qui, avec 14,1 %, fait plus que doubler son score (6,2 %) des européennes de 2019. Ce parti conservateur, souverainiste, dirigé par une femme, Giorgia Meloni, a eu un discours très dur contre le gouvernement Conte, mais plus constructif et beaucoup moins hystérique que celui de Matteo Salvini.

Son idéologie ressemble beaucoup à celle des post-fascistes de l’Alliance nationale aujourd’hui disparue, avec une composante catholique forte qui insiste sur les valeurs familiales, le conduisant à demander pendant l’épidémie un congé parental payé à 70 % du salaire et une allocation mensuelle de cinq cents euros pour la garde d’enfants à domicile.

Dans les pays scandinaves et aux Pays-Bas, confrontés à une épidémie moins dramatique et à un confinement plus souple, les partis populistes de droite ont dû réagir d’une manière différente. Les Démocrates suédois ont ainsi, par la voix de leur chef Jimmie Akesson, focalisé leurs attaques sur les insuffisances du « package » d’aides financières présenté par le gouvernement pour aider l’économie et en particulier les petites et moyennes entreprises. Le Forum pour la démocratie du Néerlandais Thierry Baudet a soutenu le Premier ministre Mark Rutte face aux pays du sud de l’Europe qui souhaitaient la mutualisation des aides de l’Union européenne aux États membres, ce à quoi s’opposaient l’Allemagne et les Pays-Bas, soucieux de ne pas donner aux électeurs l’impression qu’ils allaient devoir payer davantage d’impôts pour financer des pays, en particulier du sud de l’Europe, accusés régulièrement de ne pas maîtriser leurs déficits publics et d’avoir une administration peu efficace.

Une cause pointée du doigt partout :
la mondialisation

Finalement, d’un bout à l’autre des droites radicales et extrêmes, comme chez bon nombre de dirigeants populistes plus mainstream, la crise sanitaire s’est avérée être l’occasion de dénoncer une nouvelle fois l’Union européenne (qui laisse pourtant la compétence sur la santé aux États membres) et surtout la mondialisation, avec un discours sur la nécessité absolue du retour aux frontières : comme le dit Thierry Baudet, « l’État-Nation, c’est l’avenir ». Les partis de la droite radicale, Rassemblement national en tête, ont eu en commun de répéter qu’ils étaient les premiers à avoir averti des dangers de la délocalisation d’industries pouvant s’avérer stratégiques (comme la production de masques et de respirateurs).

Ils ont continué à considérer que l’immigration aggravait la crise sanitaire, soit parce que le virus s’était déclaré dans des régions ayant des échanges considérables avec la Chine (comme la Lombardie), soit parce que l’afflux d’immigrants arrivant en Grèce depuis le Moyen-Orient et l’Afrique allait accélérer la propagation du Covid19. L’idée générale est d’abord que la pandémie a été causée par la mondialisation elle-même, parce que celle-ci génère des flux continus d’immigration et de voyages. Ainsi, Marine Le Pen et le FPÖ autrichien ont été les premiers à demander des contrôles sanitaires aux aéroports, y compris pour les voyageurs intra-européens.

Pour ces partis, il existe une « idéologie mondialiste », partagée par les libéraux de gauche comme de droite, dont l’objectif est de supprimer les frontières pour que le marché, au sens économique du terme, soit le plus vaste et le plus ouvert possible. La mondialisation, assurent certains partis, permet à certaines multinationales de faire des profits financiers en période de crise sanitaire.

Le parti hongrois Mi Hazànk (« Notre patrie », 3,31 % des voix aux élections européennes de 2019) écrit : « Nous sommes heureux de constater que le gouvernement a accepté notre idée d’une taxe spéciale de solidarité sur les multinationales et les banques. Dans le même temps, nous attirons l’attention du gouvernement sur le fait que ceux qui gagnent le plus d’argent en raison de la situation épidémiologique, c’est-à-dire les multinationales numériques tels que Facebook, ainsi que les entreprises de télécommunications, ont été oubliés de sa proposition de taxation. » Poursuivant sur ce sujet, le parti hongrois aborde une question qui rejoint les critiques habituelles des droites radicales contre une mondialisation qui touche les plus démunis, les plus faibles, dans les sociétés occidentales : Mi Hazànk demande un moratoire sur les dettes et les expulsions, tandis que, partout, les personnes âgées sont décrites comme doublement victimes : de l’épidémie qui les frappe plus que la moyenne ; du manque de moyens financiers qui leur sont destinés dans les établissements hospitaliers et dans l’aide à domicile, puisque les contraintes budgétaires imposées par l’Union européenne et les gouvernements libéraux acquis à la globalisation feraient des seniors un « poids » pour la société et l’économie.

Les Espagnols de Vox ont dénoncé  le « goulag » des maisons de retraite alors que Geert Wilders, du Parti néerlandais pour la liberté (PVV, 6,46 % aux législatives de 2019), se mettait en scène sur Twitter en train de rendre visite aux personnes âgées à leur domicile et protestait contre le fait que les médecins demandaient aux citoyens âgés s’ils souhaiteraient être mis sous respiration artificielle en cas de contamination, comme pour suggérer qu’il y avait là une volonté proche de l’euthanasie de ne pas soigner les malades les plus exposés à la mort quand elles contractent le virus.

La droite radicale a mal exploité la crise sanitaire

La droite radicale ou extrême semble avoir échoué à élaborer des réponses cohérentes à la crise sanitaire. La rapidité avec laquelle la pandémie s’est propagée sans aucun lien avec les flux migratoires limités observés fin février dernier sur l’île de Lesbos, puis ailleurs en Grèce, a totalement invalidé l’exploitation du thème de l’immigration comme vecteur de maladie.

Le voyage en Grèce des députés européens RN Jordan Bardella et Jérôme Rivière, début mars 2020, n’a eu qu’un écho minime. Si les néonazis grecs de l’Aube dorée et leurs collègues de l’ELAM (Front populaire national) à Chypre ont pu envoyer des militants à la frontière gréco-turque où ils ont agressé des migrants et tenté de s’opposer physiquement à leur arrivée[11], ils ont joué un rôle négligeable dans une situation qui a été gérée par le gouvernement conservateur en place à Athènes, sa police et son armée.

La menace de l’immigration comme vecteur de la pandémie a principalement été utilisée sous la forme d’une dénonciation du supposé non-respect du confinement dans certains quartiers à forte population immigrée, en particulier musulmane.

Le mouvement Génération identitaire, des polémistes de droite comme Éric Zemmour, des sites comme le très fréquenté www.fdesouche.com et des élus du Rassemblement national ont relayé cette mise en cause de ceux qui sous souvent désignés comme « les racailles », jeunes d’origine étrangère vivant dans les banlieues des grandes villes, décrits comme n’ayant aucun souci de la santé collective et de l’intérêt général.

Les droites radicales entendent montrer qu’un double standard s’appliquerait : d’un côté la restriction des libertés du citoyen et de l’autre le laxisme vis-à-vis de l’immigration, qui continuerait clandestinement. Nigel Farage, fondateur de UKIP, se plaint ainsi d’avoir été visité par la police parce qu’il était allé à Douvres tourner un reportage sur l’arrivée clandestine d’immigrants. Marine Le Pen a choisi, quant à elle, de mettre en cause les libérations de détenus des prisons (dont une proportion significative est d’origine étrangère) et s’est indignée de la faible mobilisation face aux actes terroristes de Romans-sur-Isère, de Toulouse et de Colombes, commis par des islamistes radicaux contre des passants et, dans le troisième cas, contre des policiers. Toutefois, ce type de récit, qui lie aussi immigration et délinquance, est apparu bien antérieurement à la crise sanitaire et imprègne le discours du parti depuis déjà quelques décennies.

La droite radicale échoue pour d’autres raisons. Dans des pays comme la Hongrie et la Pologne, une droite très conservatrice, nationaliste est au pouvoir et lui laisse très peu d’espace. La Hongrie a fermé très vite ses frontières, la pandémie y est restée très limitée, comme en Pologne où le gouvernement s’est toutefois mis en difficulté en maintenant, contre toute prudence, l’élection présidentielle du 10 mai avec un vote uniquement par correspondance et en s’avérant ensuite incapable de l’organiser. Mais Krysztof Bosak, le candidat de la droite radicale (coalition Konfederacja Wolność i Niepodległość)crédité de 9 % des intentions de vote la veille du scrutin, reste pour le PiS un adversaire de second rang.

Une autre difficulté des droites radicales est que les gouvernements des pays les plus touchés, Espagne et Italie, ont bien géré la crise, tout comme en Allemagne la chancelière Angela Merkel a permis à son pays d’être relativement épargné, de sorte de l’AfD n’a pas eu beaucoup d’arguments et a atteint son plus bas niveau d’intentions de vote depuis 2017[12] et se trouve même confronté à la naissance d’un parti, Widerstand 2020 (« Résistance 2020 ») né des manifestations de rues contre le confinement, à forte tonalité complotiste (il évoque le « mensonge des médias » au sujet de l’épidémie qu’il considère comme une simple grippe et comprend de nombreux adversaires de la vaccination).

À ce stade, deux formations de ce courant semblent profiter de la crise, selon les sondages. Le premier est le Vlaams Belang (VB) en Belgique, passé en tête dans les intentions de vote en Flandre devant la N-VA (Nouvelle Alliance flamande, parti nationaliste flamand) dirigé par le bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever. Dès 2019, le VB était crédité de 27,3 % des intentions de vote contre 22 % pour son rival. Alors que la N-VA envisage, sous conditions, de participer une nouvelle fois à un gouvernement fédéral belge, le VB a joué à fond, face à l’épidémie, la carte du chauvinisme linguistique contre les francophones et de la xénophobie envers la population d’origine marocaine et turque.

Lorsque la N-VA a fait distribuer des documents d’informations multilingues sur les mesures de prévention à la population anversoise, elle a été immédiatement prise à partie par le Vlaams Belang pour qui, je cite, il fallait protéger « les nôtres d’abord » et n’informer qu’en néerlandais.

Au 14 mars dernier, un sondage établissait le rapport de force à 28 % pour le VB et 20 % pour la N-VA. Enfin, la cote de popularité de Marine Le Pen, dans un sondage Elabe du 7 mai dernier, connaissait une hausse de 3 points, à 26 %, alors que le taux de confiance dans l’action du président Emmanuel Macron face à la crise était en forte baisse (34 %, soit -10 %) et la confiance dans celle du Premier ministre Édouard Philippe également à 34 % (-2 %).


1. Voir notamment Rudy Reichstadt et Jérôme Fourquet, « L’épidémie dans l’épidémie : thèses complotistes et Covid-19 », Fondation Jean-Jaurès, 28 mars 2020.
2. En France, l’Institut Montaigne, les quotidiens Le FigaroLe Monde, l’édition française du journal The Epoch Times, qui rapporte le 6 avril 2020 le lancement d’une campagne intitulée « Taïwan for All », inspirée par la ligne très anticommuniste et anti-Pékin de ce quotidien qu’on dit proche du mouvement Falun Gong et qui attribue au Parti communiste chinois une action concertée de soutien au « terrorisme islamiste » comme à Yasser Arafat et à l’OLP, avec le soutien de « l’extrême gauche occidentale ». Voir « Comment le spectre du communisme dirige le monde », The Epoch Times7 mai 2020.
3. Voir « L’OMS est-elle sous l’influence de la Chine ? », Breizh-Info, 24 avril 2020.
4. Voir Annika Bruna, « Pour combattre les causes du coronavirus, exigeons une Commission d’enquête internationale indépendante sur son origine », Rassemblement national, 6 mai 2020.
5. Voir notamment « Covid-19, vaccins et 5G : les délires complotistes de Juliette Binoche sur Instagram », France Inter, 7 mai 2020.
6. Avocat, il était en 1995 candidat du mouvement Falange Espanola de las JONS aux élections dans la province de Tarragone, avant de rejoindre en 1996 un groupe concurrent, Phalange española, puis le Partido Popular (droite conservatrice).
7. Voir Bruno Bilde, « Culpabilisation, infantilisation, menaces : le gouvernement renvoie les Français à l’école maternelle avant la déconfiture », Rassemblement national, 4 mai 2020.
8. Voir son interview « Le confinement impose un contrôle de masse de type soviétique et ruine le pays ! », sur le site Riposte laïque, le 28 avril 2020, dont la raison d’être quasi-obsessionnelle est la dénonciation non pas de l’islamisme, mais de l’islam sous toutes ses formes.
9. Voir Ariane Chemin, « Les regrets d’Agnès Buzyn : “On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade” », Le Monde, 17 mars 2020. Koloman Brenner est un universitaire appartenant à la minorité allemande de Hongrie.
10. Voir Gilbert Collard, « Covid-19 et chloroquine : mais quel courroux anime le couple Buzyn-Lévy contre le Professeur Raoult ? », Rassemblement national, 24 mars 2020.
11. Cf. cet article  et cet autre.
12. Un sondage Kantar du 18 avril 2020 pour l’hebdomadaire Bild am Sonntag le place à 9 % des intentions de vote.

* Première publication : Fondation Jean-Jaurès, 15 juin 2020., dont Jean-Yves Camus dirige l’Observatoire des radicalités politiques. Jean-Yves Camus est également membre d’honneur de l’INRER.
** Chiffres actualisés par l’INRER le 28 août 2020.

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3 Responses

  1. Très utile synthèse. Cependant, il manque un développement sur la fausseté de toutes ces “idées” qui ont été relayées par des groupes tel que soutien à Mélenchon et des Gilets jaunes. De même qu’elles ont été reprises par certains médecins, des journalistes et des “philosophes” tel Onfray.

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