©Hadrien Alvarez

Par Stéphane François

Création image : Hadrien Alvarez

Courte histoire de l’évolution du rapport à l’islam et au monde arabo-musulman dans le spectre politique identitaire et de son usage d’internet pour diffuser ses thèmes.

Nous allons revenir ici sur deux points : le premier portera sur les évolutions de l’extrême droite française quant à l’islam et au monde arabo-musulman depuis les années 1970, jusqu’à la fin des années 1990, date d’une évolution idéologique majeure, le tournant antimusulman de l’extrême droite. Les tendances de l’extrême droite à l’origine de ce discours n’ont pas toujours été antimusulmanes, au contraire : elles étaient, même pour certaines d’entre elles, pro-arabes jusqu’au milieu des années 1990. Nous montrerons comment elles sont passées de l’un à l’autre. Dans un second moment, nous expliquerons comment ces militants diffusent ces discours dans des segments de la société éloignés du lieu de formulation théorique, c’est-à-dire depuis l’extrême droite la plus radicale. L’extrême droite a en effet très tôt compris l’importance d’Internet : il permet de recruter des militants, de diffuser les idées, de créer des forums fermés ou de lever de l’argent. Dès 1995, des activistes suprémacistes blancs américains disposaient d’ébauches de sites.

De l’antisionisme à la défense de la « race blanche »

L’idée d’un grand remplacement est en germe dès les années 1950, dans des groupuscules comme le Nouvel Ordre Européen de René Binet, puis dans la décennie suivante, dans Europe Action, le groupuscule de Dominique Venner. Tous deux, le premier influençant le second, insistent sur le risque de voir la population blanche submergée par les « races de couleur ». Nous sommes ici au cœur idéologique d’une rhétorique aujourd’hui largement diffusée sur Internet. Il s’agit d’une conception ethnoculturelle de l’identité. Pour les militants identitaires, il convient d’en assurer la sauvegarde face au danger que ferait peser l’immigration extra-européenne (xénophobie) et le métissage (mixophobie) sur sa pérennité. Il faut préserver l’identité ethnique et culturelle.

Paradoxalement, les idées identitaires actuelles trouvent leur origine dans une filiation idéologique précise, à l’opposé du discours actuel. Si la défense de la « race blanche » est une constante doctrinale depuis l’après seconde guerre mondiale, cette période voit aussi une reformulation du discours antisémite, qui se transforme en une forme d’antisionisme au contenu fortement pro-arabe. Certains de ses représentants les plus importants, dont d’anciens cadres nationaux-socialistes, ont alors développé une politique arabe poussée, parfois qualifié d’« autre tiers-mondisme » par les militants d’extrême droite, associé à une conversion à l’islam. L’un des arguments doctrinal de ce philo-arabisme est de combattre le « système », c’est-à-dire l’axe « américano-sioniste ». Ce philo-arabisme était assez dynamique dans les années 1970 et 1980. Il était le fait de militants évoluant aux marges du néonazisme, du traditionalisme ésotérique et du nationalisme révolutionnaire. Cependant, il a quasiment disparu depuis la fin des années 1990, avec la montée du terrorisme islamiste.

Le moment du point de bascule est la guerre de Yougoslavie, qui voit les militants s’engager auprès des Serbes ou des Croates contre les Bosniaques, musulmans. Les futurs groupes identitaires l’abandonnent totalement pour ne garder que la politique de défense de la race blanche, de l’identité blanche. En ce sens, l’idéologie identitaire constitue une rupture des thèmes de sa famille nationaliste-révolutionnaire originelle. Ainsi le Bloc Identitaire est né de l’interdiction en 2002 d’Unité Radicale, qui était lui-même un groupuscule fondé en 1998 par d’anciens membres du GUD, de Jeune Résistance et des militants de L’Œuvre Française. Son discours était antisioniste, antisémite et anti-américain, mais également anticapitaliste et pro-arabe.

L’un des exemples de cette évolution reste Guillaume Faye, passé d’un soutien aux régimes arabes autoritaires et d’une alliance euro-arabe dans les années 1980 au nom du combat contre l’occidentalisation du monde à un rejet total de ce tiers-mondisme et à un discours violemment antimusulman au milieu des années 1990 au nom de la nécessité de préserver l’identité et la race blanches. De fait, la mouvance identitaire naissante passe, entre 1995 et 2003, d’un discours fustigeant « l’impérialisme américain » en tant qu’ennemi principal, à un combat contre l’islamisme et l’immigration musulmane. Le choix du nom « Bloc identitaire – Mouvement Social Européen », qui est fondé en avril 2003, montre la reconfiguration à l’œuvre au sein des droites radicales européennes, après les attentats du 11 septembre 2001.

Le tournant du 11-Septembre

Suite à ces attentats, les temps étaient devenus favorables aux idées identitaires. Les musulmans devenaient des suspects, voire une cinquième colonne cherchant à détruire les valeurs occidentales ou à poser des bombes. À cela, il faut ajouter l’essor du racisme culturel, faisant du musulman et de la musulmane une personne incapable de s’adapter aux valeurs occidentales. Les positions identitaires entrent en résonance avec un rejet grandissant de la société multiethnique et multiculturelle.

Surtout, les thématiques identitaires comme le rejet de l’islam, la « remigration », l’idée d’une « immigration-colonisation », etc. entrent alors en résonance avec les peurs des français, choqués par le 11 septembre 2001.

Ce discours est alimenté, depuis, à la fois par les différents attentats qui ont secoué notre pays depuis presque une décennie, et par la vision d’une altérité qui dérange, comme le port par des femmes d’un voile intégral, qui sous-entendrait l’incapacité de s’intégrer dans un monde occidental et laïque. Mais, si les idées identitaires prennent aujourd’hui, c’est aussi parce que les techniques de communication de la mouvance identitaire sont efficaces : leur objectif est de faire parler d’eux. Pour cela, ils concentrent leur militantisme sur le Web. Nécessaire pour de petites formations qui ne comprennent que quelques centaines de militants, le web leur permet une démultiplication du militantisme, la faiblesse numérique étant remplacée par un suractivisme virtuel.

Cela peut être vu comme une forme de « gramscisme numérique ». Cette perspective du combat culturel a été initiée à l’extrême droite par la Nouvelle Droite dans les années 1970, à la suite des réflexions de Dominique Venner. Alain de Benoist et les animateurs du GRECE ayant découvert chez le philosophe marxiste Antonio Gramsci l’importance du combat culturel dans la prise du pouvoir par un parti politique, ils abandonnent à la fin des années 1960 la politique immédiate pour la réflexion doctrinale et le combat culturel. L’objectif était de manipuler l’opinion publique par la diffusion et la banalisation d’idées précises dans les grands médias.

Gramscisme numérique : l’extrême droite à la proue

C’est grâce à celle-ci que leurs thèmes sont banalisés, usant de l’usage des rumeurs ou de la théorie du complot, de la « réinformation » etc. Cette stratégie relève explicitement de la « propagande », savant mélange de faux et de vrai et surtout de thèmes d’extrême droite édulcorés fusionnant avec des références apolitiques ou de gauche, voire d’extrême gauche. Ces groupuscules sont désormais rompus à ces récupérations et participent à ce que certains commentateurs appellent le « confusionnisme ». Les pratiques de l’extrême droite relèvent donc ouvertement de la désinformation lorsqu’il s’agit de stigmatiser les musulmans.

Cette pratique est souvent le fait d’« agences de presse » issues de groupes extrémistes de droite, cherchant à se présenter comme neutres, telle Novopress, l’agence de presse du Bloc identitaire. L’objectif est de diffuser des informations réelles, mais tronquées ou manipulées, dans un sens favorable aux idéaux de ces groupuscules, voire de les faire passer comme provenant d’une source amie ou neutre, afin de diffuser leur discours. Ces sites de désinformation se présentent également, par un jeu de permutation, comme des sites alternatifs, de « ré-information », la désinformation étant le fait, selon eux, des médias « officiels ».

Cet activisme numérique est primordial pour eux. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, le Bloc Identitaire est né au moment où Internet prenait son essor et se démocratisait en France et a misé tout sur le cyber-militantisme. De fait, les théoriciens identitaires ont perçu très tôt les intérêts d’une « hybridité organisationnelle » pour diffuser leur argumentaire. L’intérêt pour les nouvelles technologies et les manières modernes de communiquer est lié à la personnalité de certains de ses leaders. Ainsi, Fabrice Robert travaille dans le milieu de la communication informatique et est le fondateur de Novopress. Il sera pour beaucoup dans l’adoption de cette stratégie.

Ces théoriciens identitaires ont donc opté pour une stratégie gramsciste consistant à concentrer la bataille sur le plan culturel en redéfinissant à la foi la posture, la vision du monde et les moyens utilisés pour diffuser leur pensée et augmenter leur influence au sein des droites radicales et au-delà. Il s’agit, à travers les différentes actions que les identitaires lancent, d’imposer des problématiques, des thématiques dans divers domaines, en l’occurrence anti-islam.

L’originalité de cette attitude repose sur l’utilisation d’outils et d’interfaces mettant à contribution les internautes en termes de propositions de contenus, de partage de connaissances et d’actions : c’est grâce à l’inter-créativité de chacun (militants, sympathisants, visiteurs) que la mouvance identitaire diffuse ses idées, en l’occurrence celles, très anciennes, du « flot montant des peuples de couleur » (Lotrop Stoddard) et du risque de colonisation/substitution ethnique par les populations arabo-musulmanes. Seulement, aujourd’hui, ces idées sont démultipliées par l’essor du Web : il y a aujourd’hui une « re » radicalisation des militants d’extrême droite qui s’exprime de nouveau violemment. La candidature d’Éric Zemmour à l’élection présidentielle cette année l’a montré brutalement

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