Par Laurent Joly*
Pour l’historien de la Shoah Laurent Joly, Serge Klarsfeld commet une lourde erreur en appelant à voter RN en cas de second tour contre LFI aux législatives anticipées de 2024.
Serge Klarsfeld appelle à voter RN en cas de second tour contre LFI. C’est terriblement triste et à mon avis une lourde erreur.
Je sais, pour en avoir discuté avec lui, que Serge Klarsfeld a une vision réaliste de la situation politique française, divisée en trois blocs. Peut-être, en effet, est-on en train d’assister à une transition douloureuse dans le monde des droites, le RN prenant l’espace autrefois occupé par le parti gaulliste, l’UMP ou LR. Des politologues s’acharnent à le démontrer. Les historiens, eux, verront à l’usage. Mais la manière dont cette transition se déroule, dont elle nous est imposée, à coups de camouflages grossiers, de mensonges orchestrés, de hold-up éhontés (l’entreprise de décérébration de Borollé, le coup de force de Ciotti, etc.), tout cela permet d’ores et déjà de douter d’une tranquille filiation RPF-RPR-RN.
La vérité historique apparaît hélas plus limpide. Nous l’avons sous les yeux, et elle est sans précédent : on assiste bel et bien à la mainmise de l’extrême droite sur le monde des droites. Sans parler d’une singularité rarement soulignée, et unique dans le paysage européen des droites populistes et extrémistes : le RN, ce n’est pas seulement ses origines collaborationnistes bien connues, c’est aussi et surtout 40 années sous les feux de la rampe d’une famille, d’un clan, diabolisé, humilié, méprisé (se souvenir de la nullité tragique de Marine Le Pen lors des débats présidentiels de 2017 et 2022). Imaginer que ces gens arriveront au pouvoir sans esprit de revanche, juste pour prendre, tranquillement, la place de la droite de gouvernement, me paraît peu réaliste.
Le RN au pouvoir en France, ce sera inévitablement le triomphe des minables, des ratés – et parmi eux de ces mauvais historiens qui, ces dernières années, à l’abri des mouvances Zemmour, Onfray, “Figaro Histoire”, ont commencé leur travail de sape contre l’œuvre historique admirable de Klarsfeld, qui a permis à la France de regarder en face les crimes antisémites de Vichy.
Le principal danger, dit Serge Klarsfeld, c’est LFI, qui est un “parti antisémite”. LFI fait peur, et cela se comprend. Mais si LFI n’est précisément pas un parti antisémite et si son leader est obligé d’user de sous-entendus pour faire passer son obsession des Juifs, c’est que l’antisémitisme en France est illégal. Et s’il l’est, ce n’est certainement pas grâce à l’extrême droite, qui s’est toujours opposée de toutes ses forces aux lois antiracistes – le meilleur rempart contre l’antisémitisme.
Croire que l’extrême droite protège les Juifs est une illusion. Les Israéliens sont bien placés pour le savoir depuis l’horreur du 7 Octobre. Sans l’extrême droite au pouvoir, une telle barbarie aurait-elle pu être évitée ? Les historiens du futur le diront. Mais une chose est certaine, l’histoire nous l’enseigne, l’actualité internationale nous le montre depuis des mois : le nationalisme, c’est l’aveuglement idéologique, le court-termisme forcené, l’incompétence.
* Laurent Joly est historien spécialiste de l’antisémitisme durant l’Occupation.
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