Poutine

Par Collectif

Une victoire de Marine Le Pen constituerait aussi une menace directe pour l’Europe, pour les minorités et pour la paix internationale. Une tribune de Marie Peltier, Isabelle Kersimon, Stéphanie Lamy, Cécile Vaissié, Antoinette Paix, Nicolas Hénin, Nicolas Tenzer et Jean-Yves Pranchère, parue dans l’Obs le 16 avril 2022 : Face à la menace de l’extrême droite : « Plus jamais ça », dans les rues, dans nos discours et dans les urnes.

Alors que le premier tour de l’élection présidentielle a trouvé une issue à première vue similaire à ce qu’il s’était produit en 2017, nous craignons un aboutissement beaucoup plus grave politiquement. La montée inexorable de l’extrême droite et la banalisation de son discours au sein de toute la société, la situation politique internationale particulièrement inquiétante, et la propagande des régimes autoritaires désormais mainstream dans nos pays, indiquent l’intensité du danger pour nos démocraties. Devant ce constat, nous devons tirer la sonnette d’alarme : une victoire de Marine Le Pen ne serait pas seulement une défaite politique pour les démocrates, elle constituerait aussi une menace directe pour l’Europe, pour les minorités et pour la paix internationale.

Les trois candidats qui sont arrivés en tête de ce premier tour nous disent chacun à leur manière combien la situation actuelle n’est pas en tout point comparable à celle d’il y a 5 ans. Emmanuel Macron, qui lors de sa précédente campagne s’était présenté comme le candidat du rassemblement de la droite et de la gauche, sort d’un mandat où sa politique a été marquée par une attitude que beaucoup ont jugée sensible à certaines thématiques d’extrême droite. Une politique peu accueillante envers les réfugiés avant la guerre en Ukraine, l’offensive contre le « séparatisme » qui a été perçue comme une hostilité supplémentaire envers les musulmans par une partie de son électorat, le positionnement que certains jugent complaisant à l’égard de Vladimir Poutine avant le 24 février et l’engagement perçu comme insuffisant contre le régime Assad sont autant d’éléments qui, en plus de certaines politiques sur le plan social et économique, ont pu ternir son image auprès des progressistes dont il entendait porter la voix.


Jean-Luc Mélenchon, qui s’est présenté comme le candidat du rassemblement de la gauche et de l’opposition à Emmanuel Macron, n’a pas réussi à convaincre celles et ceux qui au long cours lui ont reproché son approche nationaliste et antieuropéenne, ses propos volontiers antisystème flirtant parfois avec le conspirationnisme le plus brut et ses approbations récurrentes des dictatures, particulièrement des régimes russe et syrien. Même si son score est historique, on ne peut taire que ces compromissions ont divisé la gauche durablement.

Mais surtout, alors que la guerre en Ukraine menace directement l’Europe, rien n’a pu empêcher l’ascension de l’extrême droite. Marine Le Pen capitalise ainsi sur une haine du « système » qui a été toujours plus poussée dans nos pays par la propagande pro-Kremlin. Elle incarne aussi, avec Éric Zemmour, le racisme, l’antisémitisme et la haine des musulmans de plus en plus décomplexés au sein de l’opinion publique. Elle symbolise par ailleurs un certain triomphe de la pensée « anti-Bruxelles », qui rejette en permanence sur l’Union européenne la responsabilité des maux – économiques et politiques – qui traversent la France.

Au-delà des divergences – parfois profondes – que les progressistes peuvent avoir avec le Président sortant, le danger que représenterait cette extrême droite au pouvoir dans un pays comme la France, en plein cœur de l’Europe, est incomparable, tant pour nos acquis sociaux et démocratiques que pour la stabilité internationale. Au moment où des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sont commis par l’armée russe en Ukraine, l’accession au pouvoir d’une dirigeante issue d’un parti politique dont les liens avec le Kremlin sont idéologiques, structurels et financiers, serait une menace directe pour la paix, pour l’existence même de l’Union européenne et pour les luttes démocratiques.

Rappelons à cet égard le précédent de la guerre en Syrie : nous savons que si l’on n’arrête pas les dictatures dans leur entreprise de répression et de terreur, celles-ci s’octroient le droit de crier « victoire » sur un belligérant en célébrant des massacres de leurs populations civiles. Elles gagneront ainsi en pouvoir et en influence sur la scène internationale, où elles répandent la négation des Droits humains et de la liberté individuelle. Si l’on ne s’oppose pas de manière ferme à la propagande des dictatures et à la rhétorique complotiste qui lui est inhérente, ces récits prendront toujours plus d’ampleur dans nos pays. Au Capitole, en janvier 2021, nous avons pu observer ce à quoi ces discours conduisent inévitablement : la remise en cause par la force des institutions démocratiques et de leur fonctionnement.

Nous souffrons aujourd’hui d’un débat public de plus en plus relativiste, où la tendance à mettre sur un pied d’égalité dévoiements des démocraties et répressions des régimes dictatoriaux est largement répandue. La rhétorique de l’indignation sélective, abondamment mise en avant par les dictatures pour justifier leurs crimes, conduit inévitablement à une réhabilitation de ces dernières. Ce relativisme présente le plus souvent le combat pour les Droits humains comme un prétexte de nos gouvernements pour se maintenir au pouvoir. Il pourrait nous conduire au pire : le basculement de l’espace européen vers l’autoritarisme, les violences à l’égard des minorités au sein de notre société, un détricotage de l’État de droit et finalement une mise en péril de la paix construite après la Seconde Guerre mondiale. Face à ce danger imminent, le « plus jamais ça » doit être aujourd’hui brandi, dans les rues, dans nos discours et dans les urnes.

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