Critica Masonica

La revue Critica Masonica a reçu Isabelle Kersimon, fondatrice et présidente de l’INRER, pour un grand entretien paru dans son numéro spécial sur la démocratie (janvier 2021). Extraits.

Critica Masonica : Vous vous réclamez des notions d’humanisme et d’universalisme, vous êtes très attachés à la République et à sa devise. Comment pouvons-nous espérer faire appliquer ces principes, au nombre desquels figurent la laïcité et le féminisme, avec des personnes venues d’autres traditions?

Isabelle Kersimon : Le féminisme est un combat ancien dans notre pays, plus récent dans d’autres, et il reste encore beaucoup à faire à cet égard, qui n’a pas toujours à voir, en France, avec d’autres traditions – ce que l’on oublie souvent, étant donné le maelstrom qui désigne, soyons clairs, les personnes d’origine immigrée ou récemment immigrées comme le problème principal des femmes et la source majeure des questions féministes à l’heure actuelle, ce qui est factuellement faux. De nombreuses études montrent que, globalement, l’adhésion à la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » est largement majoritaire dans l’ensemble de la population française, et que la laïcité est plus revendiquée que conspuée.

Tout le problème est que, depuis l’année terrible 2015, un certain nombre d’intervenants du débat public ont instrumentalisé ces notions – intervenants que l’on n’entendit ni ne vit guère en mars 2012, suite aux crimes de Merah à Toulouse, ni en 2006, suite au supplice d’Ilan Halimi. En 2006 et en 2012, l’ensemble de la population – de potentiels électeurs – n’avait pas pris la mesure du danger. Depuis 2015, une confusion extrême a été développée, à dessein, car elle résulte de véritables entreprises de propagande, entre les questions de terrorisme, d’intégrisme religieux, de laïcité et de féminisme, entre situation française et situation irako-syrienne, etc. Par ailleurs, les notions mêmes de laïcité et de féminisme subissent de terribles outrages lorsqu’elles sont instrumentées par des associations défendant l’intégralisme religieux, par le Rassemblement national, ou par des associations ou personnalités dont le seul « combat » (sic) concerne l’islam et les musulmans, rapidement qualifiés d’islamistes, à la manière dont Dieudonné, pour éviter l’accusation en antisémitisme, parlait de « juifistes » : dans un cas, laïcité et féminisme font l’objet de critiques extrêmes et de mésinterprétations terribles – parfois, de discussions dignes d’intérêt ; parfois, elles servent de thématiques de ralliement, de faire-valoir ou de laisser-passer, tels les mots valise ou invocations de n’importe quel slogan publicitaire ou politique – l’INRER publiera durant l’été une – petite – partie du manuscrit sur lequel je travaille depuis trois ans et qui comprend un lexique central concernant les notions et termes issus de l’extrême droite actuellement employés par des mouvances se revendiquant laïques. Car c’est bel et bien par les mots, comme en a témoigné Victor Klemperer, que se forge une vision du monde : les champs lexicaux, les expressions répétées ad nauseam, y compris lorsqu’elles désignent des faits mensongers ou des notions jamais circonscrites, sont les premiers opérateurs des glissements politiques et des priorités d’un débat public qui repose principalement sur la fureur des réseaux sociaux. Nombre de groupes l’ont très bien compris, qui s’y répandent en polémiques permanentes afin d’y imposer leur agenda.

(…)

Critica Masonica : Étrangement, l’universalisme est considéré par certains comme une forme perverse d’anthropocentrisme. Le fameux “d’où parles-tu?” des anthropologues aurait-il été dévoyé?

Isabelle Kersimon : L’universalisme et les droits humains font l’objet d’attaques de toutes parts, comme le montrent Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère, et le plus grand danger qui pèse sur eux se situe au plan international, avec la montée en puissance des régimes autoritaires, qui s’allient pour l’occasion avec des monarchies théocratiques ou des républiques islamiques, et ce qu’on nomme parfois les démocraties illibérales, terme contestable pour désigner des régimes dont les dirigeants sont élus, mais qui par ailleurs n’ont rien de démocratique. Ces attaques sont le fer de lance des ennemis de l’Union européenne.

En France, ils sont mis en question par des mouvances dites décoloniales dont la portée reste infime, y compris au sein de l’Université, et, beaucoup plus dangereusement, par des politiques bénéficiant de mises en scène médiatique intenses et répétées – parfois au service de puissances étrangères – et leurs militances sur les réseaux sociaux, qui les qualifient de « droitdelhommisme » et revendiquent l’abrogation des lois Pleven[1], voire Gayssot[2], le recours à la peine de mort et un « free speach » à l’américaine dont on sait qu’il abrite les pires extrémismes : suprémacisme blanc, suprémacisme noir, néonazisme et leur cohorte idéologique en terme de racisme, d’antisémitisme, de conspirationnisme…

Du point de vue de l’universalisme et des droits humains qui lui sont corrélés, se posent ainsi en Europe nombre de problématiques dont, par exemple, des soutiens au régime sanglant de Bachar al-Assad et/ou à celui de Vladimir Poutine et leurs alliés.


[1] Loi no 72-546 du 1er juillet 1972 sur la lutte contre le racisme.

[2] Loi no 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.

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