Par Stéphane Vasseur
Pseudo-science, racisme, antisémitisme : tour d’horizon des thèses conspirationnistes liées à la pandémie de Covid-19.
Complots scientifiques
Des scientifiques accusés de semer la mort
Plusieurs brevets scientifiques ont été à l’origine de rumeurs complotistes sur internet, et au moins deux institutions et leurs personnels ont été visés : l’Institut Pasteur en France, et l’Institut Pirbright au Royaume-Uni.
L’Institut Pirbright a été accusé d’avoir « inventé » – donc fabriqué – le SARS-cov2 (l’agent pathogène qui provoque le Covid-19) suite à la publication d’un brevet, en 2015, concernant un coronavirus affectant la volaille. L’Institut Pasteur a été accusé, dans une vidéo publiée sur Youtube et visionnée plus d’1 million de fois sur Facebook, d’avoir créé le coronavirus pour mieux vendre, par la suite, son vaccin.
Si le complot Pasteur a eu un écho avant tout francophone et temporaire (au début du confinement en France), le complot Pirbright a eu une audience plus large, d’autant plus que cet institut est financé par la fondation Bill et Melinda Gates.
Dans les deux cas, il y a double confusion :
– Une confusion entre brevetage et invention au sens strict : les laboratoires déposent des brevets pour des découvertes scientifiques.
– Une confusion entre la famille des coronavirus et le SARS-cov2.
Or, le brevet de l’Institut Pasteur, datant de 2004, concernait la description du virus SARS-cov1, à l’origine de l’épidémie de 2003, et le brevet de l’Institut Pirbright concernait une souche de coronavirus infectant les poules.
Notons que ce type de thèses représente un réel danger, puisque des scientifiques ont reçu des menaces de mort, notamment en Allemagne et au Brésil.
Les accusations contre l’Institut Pirbright tiennent en partie au fait qu’il a été financé par la Fondation Bill et Melinda Gates. Le fondateur de Microsoft a été accusé d’avoir créé le virus, financé la pandémie, et planifié une vaccination ayant pour but de dépeupler la terre, grâce à une puce RFID injectée avec le vaccin. Le conspirationniste d’extrême droite américain Alex Jones a répandu ce fake, qui s’est lui aussi largement propagé au-delà des frontières étatsuniennes, et notamment en France. Voir le debunking ici.
Bill Gates avait auparavant également été accusé d’avoir empoisonné des enfants ou des jeunes femmes indiennes avec des vaccins. Une thèse elle aussi réfutée.
Le complot “Covid-19 et VIH”
Le Covid-19 et le VIH ont un point commun : ce sont des virus à ARN, appelés aussi « rétrovirus ». Cependant, ils n’appartiennent pas à la même famille. Cela n’a pas empêché certains chercheurs de comparer les protéines des deux virus (codées à partir de leur ARN) pour « vérifier » si le SARS-cov2 n’aurait pas été fabriqué en laboratoire à partir du VIH. Effectivement, ils ont trouvé que de petites séquences d’acides aminés (les constituants des protéines) sont communes aux deux virus.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela signifie que VIH et SARS-cov2 ont un ancêtre commun plus ou moins lointain… et rien d’autre. Si on compare l’ADN humain avec l’ADN d’une mouche, on trouve aussi des correspondances. Pourtant, il ne nous viendrait pas à l’esprit de prétendre que l’être humain a été créé à partir de la mouche.
D’ailleurs des chercheurs ont comparé les protéines du SARS-cov2 avec celles de nombreux virus, et ils ont trouvé de nombreuses correspondances, le VIH étant loin d’être le plus proche parent du SARS-cov2.
Mais là où l’affaire se complique, c’est qu’un scientifique connu du grand public a diffusé ce fake : le professeur Luc Montagnier. Son ex-collègue Françoise Barré-Sinoussi (également Nobel de médecine pour la découverte du VIH), spécialiste mondialement reconnue des rétrovirus, a eu beau le contredire, la surface médiatique de L. Montagnier a provoqué des adhésions à cette thèse.
Luc Montagnier propage en effet, depuis des années, des affirmations infondées d’un point de vue scientifique, comme par exemple la thèse de la mémoire de l’eau, mais il reste écouté et invité à la télévision en raison de sa gloire passée. Il n’est pas le premier Nobel dans ce cas : on parle même de « maladie du Nobel ».
Le complot “Covid-19 et 5G”
Certains sites conspirationnistes américains et britanniques ont répandu l’idée que les antennes 5G étaient responsables de la pandémie de Covid-19, aidés en cela par les troupes numériques de bots russes, selon la sociologue Kathleen M. Carley, au point que certaines ont été détruites au Royaume-Uni par des militants persuadés d’œuvrer en faveur de la santé mondiale. En France, cette rumeur a été relayée notamment par le site conspirationniste politiquement attrape-tout Les Moutons Enragés, ainsi que sur d’importantes pages Facebook se revendiquant Gilets-jaunes et/ou soutiens au professeur Didier Raoult.
La grande majorité des scientifiques jugent cette thèse farfelue et rappellent qu’il n’y a aucune preuve de causalité entre la présence d’antennes 5G et « l’effondrement du système immunitaire » ou les mutations du virus.
Peu convaincus par les arguments scientifiques, les adeptes de cette thèse pourraient réfléchir au fait que des pays n’ayant pas déployé la 5G (la France ou l’Iran, par exemple) n’ont pas été épargnés. Cette thèse et ses avatars ont été débunkés ici.
Complots nationaux-xénophobes
Le “complot chinois”
Comme la thèse qui suggérait une fabrication du virus en laboratoire, une autre thèse désigne la Chine, d’où a émergé la pandémie, dans laquelle ce pays est accusé d’avoir délibérément fabriqué le virus.
Ce complot a été relayé par les milieux conservateurs aux États-Unis. Le sénateur républicain de l’Arkansas Tom Cotton s’est ainsi persuadé que le SARS-cov2 est une arme biologique chinoise. Cette thèse a été réfutée.
Les États-Unis et la Chine se livrent une guerre de communication, en sus d’une guerre commerciale, depuis bien avant la pandémie. Donald Trump et son secrétaire d’État Mike Pompeo ont prétendu que le virus provenait de l’institut de virologie de Wuhan. L’influenceur d’extrême droite et ancien conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, toujours talentueux pour les meilleures formules d’intox, a même parlé d’un « Tchernobyl biologique ».
Cette thèse est également défendue par certains prêcheurs et extrémistes religieux aux États-Unis, accusant La Chine et la Corée du Nord d’avoir créé le virus pour destituer le président Trump et/ou l’empêcher d’accéder à la Présidence lors de la prochaine présidentielle américaine. Parmi eux, on peut citer le mouvement conspirationniste ultraconservateur chrétien QAnon.
Cette mouvance a récemment abordé les frontières de l’Europe : le 29 août 2020, lors des manifestations contre les mesures anti-Covid de Berlin, une participation massive d’adeptes de QAnon a été enregistrée.
Factuellement, on peut rappeler qu’il existe plusieurs laboratoires étudiant les virus dans la ville de Wuhan, où s’est déclarée l’épidémie, et que l’un d’entre eux souffrait d’une faille de sécurité.
Mais des études ont montré la forte parenté entre SARS-cov2, un coronavirus de chauve-souris et un autre issu du pangolin. La rencontre de ces animaux aurait pu engendrer l’agent pathogène.
Le “complot américain”
La guerre de l’information est une réalité, et certains États la mènent sur les réseaux sociaux, et/ou via des « médias » diffusant leur vision politique. Ainsi, des officiels chinois ont pour l’occasion déployé une véritable propagande, arguant que la pandémie était probablement venue des États-Unis.
Cette thèse a été partagée en France sur le site d’Alain Soral, théoricien fasciste, parmi d’autres thèses conspirationnistes sur le Covid-19 qui y ont été relayées, notamment sous les plumes du tristement célèbre Thierry Meyssan et de l’antisémite forcené Israël Shamir.
Complots racistes et antisémites
Racisme et Covid-19 dans le monde
Quand un évènement grave se déroule, l’être humain cherche souvent des responsables, et est prompt à livrer des boucs-émissaires à la vindicte des masses. Dans tous les pays du monde, on a constaté une recrudescence des actes racistes liés à la pandémie.
• Dans le monde entier et surtout en Occident, y compris en France, les personnes d’origine asiatique ont été victimes d’agressions racistes, verbales ou physiques, donnant lieu à une vaste campagne “Je ne suis pas un virus”.
• En Chine, ce sont les Africains qui ont été stigmatisés, en particulier dans la ville de Guangzhou (Canton), où des discriminations ont été rapportées, allant jusqu’à des arrestations abusives.
• En Inde, avec les nationalistes hindous au pouvoir, les musulmans étaient les boucs-émissaires désignés. Les actes antimusulmans se multipliaient dans ce pays avant même l’épidémie. Celle-ci n’a fait qu’accroître une stigmatisation déjà présente.
• En Allemagne, ce sont les Français et les personnes d’origine turque qui ont été accusés de répandre la maladie.
Le racisme peut se traduire par des inégalités socio-économiques qui ont des conséquences sanitaires. Par exemple aux États-Unis, les Afro-américains sont plus touchés par l’épidémie. Cela s’explique par la précarité et des professions plus exposées.
Le “complot juif”
Le « Juif empoisonneur » est un trope historique de l’antisémitisme qui alimente plusieurs thèses conspirationnistes. Alex Friedfeld, chercheur au Centre sur l’extrémisme de l’Anti-Defamation League (ADL), a déclaré que « les extrémistes ont commencé à propager l’idée en janvier que le coronavirus avait été créé par une cabale de Juifs ». Cette thèse a été reprise par des extrémistes islamistes et des suprémacistes blancs, ainsi que sur une chaîne de télévision d’État turque.
Le prédicateur sectaire chrétien Ivo Sasek a affirmé dans le passé que les Juifs avaient pour but de réduire la population mondiale à 500 millions d’êtres humains en commettant un meurtre de masse. Son groupe a donc diffusé un dépliant affirmant que le coronavirus est une arme biologique lâchée sur le monde par George Soros. Le site suisse francophone d’extrême-droite Kla.tv désigne le milliardaire comme suspect dans une vidéo devenue virale, car il a financé un laboratoire à Wuhan. Sauf que celui-ci n’est pas habilité à manipuler un virus tel que le SARS-cov2.
George Soros est une cible privilégiée dans les milieux antisémites, principalement d’extrême droite, en tant qu’il est un milliardaire juif proche des démocrates américains.
Les autorités allemandes se sont inquiétées dès avril d’une recrudescence de l’antisémitisme dans le cadre de l’épidémie. Selon une enquête de l’université d’Oxford, un Britannique sur cinq pense que les Juifs ont créé le coronavirus pour effondrer l’économie à des fins financières En France, caricatures, insultes et messages de haine antisémites ont envahi les réseaux sociaux, en particulier à l’encontre d’Agnès Buzyn et de son mari Yves Lévy, et plusieurs plaintes ont été déposées.
Plusieurs organisations telles que l’Anti-Defamation League (ADL), le British Community Security Trust (CST) et le Simon Wiesenthal Center (SWC) ont également noté la prolifération de messages antisémites en ligne et de théories du complot depuis le début de la crise du Covid-19.
Y a-t-il un complot contre le Pr Raoult ?
« On » chercherait à cacher l’efficacité de l’hydroxychloroquine, molécule accessible puisque connue depuis longtemps et donc appartenant au domaine public. Cette hypothèse est soutenue en particulier par le Pr Didier Raoult, infectiologue.
Nombre d’internautes anti-masques et anti-vax sont persuadés qu’un complot est à l’œuvre contre le professeur Raoult et l’hydroxychloroquine. On chercherait à faire taire le scientifique. « On » étant « Big Pharma » ou « la science officielle », acteurs occultes et malfaisants censés être relayés par « les médias officiels », « les élites » et « le pouvoir en place ». Un discours qui n’est pas sans rappeler celui du Rassemblement national, Marine Le Pen ayant d’ailleurs exprimé sa conviction d’un mensonge d’État relatif au traitement par l’hydroxychloroquine.
Pour les aspects politiques concernant l’extrême droite européenne et la crise du Covid-19, cliquez ici pour lire : Jean-Yves Camus, “Extrême droite européenne et covid19”.
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