Les sorcières ont le vent en poupe et nombre d’internautes proposent, par exemple sur Youtube, grimoires et formules magiques, inspirés par des séries populaires. Certaines féministes se revendiquent aussi de la sorcellerie. Regard d’un historien.
Par Stéphane François
Depuis quelques années, les sorcières sont à l’ordre du jour. La figure de la sorcière a été largement vulgarisée par différentes séries télévisées et par plusieurs films, tel Les Sorcières d’Eastwick (1987), Les Sorcières de Zugarramurdi (2013) ou Lords of Salem (2012). Nous pourrions multiplier les exemples. Parmi les séries, Ma sorcière bien aimée, diffusée entre 1964 et 1972, est restée dans les mémoires, mais c’est surtout avec Charmed que l’image de la néosorcière, dans sa variante « Wicca » a été diffusée auprès du public occidental. Cette série, diffusée en France entre 1999 et 2006 sur la chaîne M6, narre les aventures des sœurs Halliwell, descendantes de sorcière brûlée à Salem, qui combattent à San Francisco les forces du Mal. Son succès, jamais démenti lors des rediffusions, est à l’origine d’une nouvelle version de la série diffusé en 2018/2019.
Cependant, la référence à la sorcellerie a aujourd’hui dépassé le cadre de la fiction pour se répandre dans la sphère militante, tant au niveau du féminisme que de l’activisme altermondialiste : depuis quelques années, nous voyons des manifestations de sorcières, en particulier aux États-Unis. Des essayistes, ainsi que des activistes féministes, en font la promotion dans la presse et dans des émissions radiophoniques ou télévisées. La sorcellerie est de nouveau à la mode : les sorcières des grands procès seraient, à les entendre, les ancêtres des éco-féministes d’aujourd’hui. Les plus radicales mettent en avant la volonté « génocidaire » du « patriarcat » vis-à-vis des femmes européennes. Mais qu’en est-il réellement ?
Nous montrerons, dans un premier temps, que la néosorcellerie contemporaine est issue d’un mouvement occultiste né dans les années 1930, la Wicca ; nous insisterons ensuite sur le fait que nous sommes en présence d’un discours réellement progressiste ; enfin, dans un dernier moment, nous expliquerons que cette néosorcellerie est surtout idéologique, ignorant les travaux scientifiques sur la question.
Retour aux sources :
qu’est-ce que la Wicca ?
Les néosorcières se réclament depuis les années 1980 d’un nouveau mouvement religieux, la « Wicca ». Cette Wicca, d’invention récente – nous y reviendrons – a été diffusée auprès du public par différentes productions culturelles : films, séries, livres, bandes-dessinées, etc. Outre Charmed, nous pouvons citer la série britannique Hex (2004-2005) ou l’américaine Eastwick (2009-2010), mais qui, contrairement à la première, n’ont pas trouvé leur public.
Le terme « Wicca » signifierait « sagesse » ou « sorcier » en vieux gallois, mais ces étymologies contradictoires prêtent largement à discussion, les débats sur son étymologie n’étant pas clos. Les membres de la Wicca se prétendent les héritiers de la religion du néolithique et vouent un culte à la Déesse Mère, qui peut être approximativement identifiée à la déesse de la Fertilité mise en avant par différentes anthropologues et préhistoriennes féministes, telle l’américaine d’origine lituanienne Marija Gimbutas.
À compter des années 1990, ce nouveau mouvement religieux est devenu un phénomène de société dans les pays anglo-saxons où ses pratiquantes se comptent par centaines de milliers. Il existe même en Grande-Bretagne et aux États-Unis des aumôniers wiccans dans les universités et dans l’armée… Il s’agit d’un mouvement à forte connotation féministe, holiste, écologiste et New Age. Les membres de cette religion, ou wiccans, croient donc en l’existence d’un matriarcat primordial, fondamentalement pacifiste, égalitaire et écologiste. Ce matriarcat idyllique aurait été mis à mal par l’arrivée des peuples indo-européens, guerriers, pratiquant le patriarcat et la hiérarchisation sociale. Malgré tout, selon ses adeptes, ce paganisme matriarcal primitif se serait perpétué jusqu’à nos jours, intégrant progressivement des éléments d’autres religions préchrétiennes, en particulier des éléments provenant de cultes grecs et romains, devenant ainsi une religion profondément syncrétique et déjà « à la carte », c’est-à-dire polymorphe, sur le plan des pratiques individuelles. Pour les wiccans, les sorcières du Moyen Âge et du XVIIe siècle seraient les dernières gardiennes des cultes païens de l’Antiquité, passées dans la clandestinité du fait des persécutions chrétiennes qu’elles auraient subi. Cette « vieille religion », enfin supposée telle, reconnaît, cependant, deux forces complémentaires, un dieu mâle, le « Dieu Cornu » et la « Grande Déesse ». Les membres de la Wicca pratiquent parfois une magie sexuelle influencée par les occultistes Paschal B. Randolph (1825-1875) et Aleister Crowley (1875-1947).
Malgré la légende tenace de l’existence d’un certain nombre de sorcier(e)s prétendants à une filiation familiale immémoriale de la sorcellerie, le fondateur de la sorcellerie moderne reste l’Anglais Gerald Brousseau Gardner (1884-1964), un passionné d’occultisme. Il était en effet à la fois membre la Rosicrucian Order Crotona Fellowship et de la Société Théosophique, ainsi qu’un proche de l’obédience maçonnique mixte du Droit Humain créée en 1901 (émanation d’ailleurs de la Société Théosophique). Il pratiquait également le thélémisme, la néoreligion athée inventée par l’occultiste britannique A. Crowley. G. B. Gardner affirmait qu’il était le descendant d’une sorcière brûlée au XVIIe siècle, dont sa famille aurait gardé la tradition. Ce type de justification a posteriori est une pratique très courante dans les milieux occultistes pour donner un semblant de légitimité à des créations occultes récentes…
Suite à cela, G. B. Gardner s’est passionné, à partir des années 1940, pour les thèses d’une ethnologue anglaise, Margaret Murray (1863-1963), aux positions déjà très féministes : il aurait existé au Moyen Âge une survivance de religions païennes : la sorcellerie. Elle développe cette thèse dans The Witch Cult in Western Europe, paru en 1921, et dans The God of the Witches publié en 1933. L’historien italien Carlo Ginzburg, dans Le Sabbat des sorcières (1989), a développé une thèse similaire : il pense que la « sorcellerie » médiévale ne serait qu’une persistance d’une culture chamanique préchrétienne. G. B. Gardner s’est aussi inspiré de l’occultiste et historien des religions roumain Mircea Eliade (1907-1986), aux positions pérennialistes, c’est-à-dire les partisans d’une Tradition primordiale dont les traces se manifesteraient dans les différentes traditions et religions existantes, et hostiles au christianisme, qui allait dans le même sens, mais dont les travaux sont aujourd’hui discrédités scientifiquement. Pourtant, ce n’est qu’en 1949, pour cause de loi contre la sorcellerie, le Witchcraft Act de 1736 – loi qui ne fut abrogée qu’en 1951 –, que G. B. Gardner publia un texte faisant référence à la sorcellerie : un roman intitulé High Magic’s Aid (Secours de la Haute Magie). La même année, il écrivit le Book of Shadows (le Livre des Ombres), texte traitant des rituels. Ce livre est encore aujourd’hui la base cultuelle de la pratique wiccane. Il a d’ailleurs été mis en avant dans la série Charmed : il est le grimoire que les sœurs utilisent pour combattre les démons et les sorciers maléfiques.
Toutefois, outre A. Crowley et P. B. Randolph, G. B. Gardner a eu des prédécesseurs dont il s’inspira amplement. Le plus important de tous fut un journaliste américain, du nom de Charles G. Leland (1824-1903). Ce dernier était fasciné par les cultures populaires et par les gens qui résistaient au progrès. Il fut l’auteur de plusieurs livres, mais il ne devint célèbre que grâce à un petit livre intitulé Aradia, Or The Gospel of the Witches (L’Evangile des sorcières). Il s’agirait d’un témoignage qu’il aurait recueilli en 1886 d’une femme de Toscane qui se prétendait sorcière, Magdalena.
En 1953, l’une de ses premières disciples, la Britannique Doreen Valiente (1922-1999), devint grande prêtresse de la première structure de sorcellerie. Elle était persuadée de posséder des pouvoirs magiques. À la mort de Gerald Brousseau Gardner en 1964, elle commença un important travail de révision de son œuvre car celui-ci était devenu extrêmement controversé dans ce milieu. Par la suite, D. Valiente effectua un travail d’édition et publia un certain nombre d’ouvrages dont : Witchcraft for Tomorrow ou The Rebirth of the Witchcraft. Elle réécrivit aussi quelques-unes unes des invocations que « Magdalena » aurait données à C. G. Leland. De ce fait, si ces incantations étaient initialement réelles et véridiques, elles n’ont aujourd’hui plus rien d’authentique du fait de cette réécriture et n’ont plus aucune filiation directe, initiatique, avec celles des sorcières historiques.
Ainsi, la sorcellerie actuelle doit être vue comme une religion néopaïenne qui se caractérise par une reconstruction totale de la sorcière. Il s’agit clairement de ce que Claude Lévi-Strauss appelait, dans La Pensée sauvage, un « bricolage », le terme devant être pris dans un sens non péjoratif, c’est-à-dire une invention faite de bribes et de morceaux, reconstruisant la sorcellerie sans filiation aucune avec la sorcellerie originelle. Par ailleurs, la recherche scientifique (voir infra), a montré que celle-ci est elle-même un vestige de pratiques dont le sens originel s’est perdu progressivement. La néosorcellerie se caractérise par un bricolage spirituel et ses doctrines prêtent largement à la critique. En effet, la Wicca, tout comme le New Age, avec lequel elle est étroitement liée, est un assemblage de références éclectiques et éparses. Elle peut, et doit, être considérée comme une sorte de religion à la carte, composée selon les désirs et les références de chacun, extrayant des éléments non seulement dans toutes les traditions religieuses et les différents occultismes mais aussi dans les théories et les spéculations de toutes sortes : psychologie, sciences, médecines parallèles ou paranormal, décrédibilisant son discours spirituel par des références à des formes d’irrationalisme parfois très confuses, mal assimilées et mal comprises.
Une idéologie réellement progressiste
Aujourd’hui, les sorcières ont quitté le champ imaginaire pour investir la réalité, changeant leur image dans l’opinion publique et dans l’espace médiatique. En effet, plusieurs manifestations les ont mises en avant, telle celle du 12 septembre 2017 à Paris qui vit la présence d’un « witch bloc ». Pourtant, cette manifestation avait pour objectif de contester les projets de réforme du Code du travail. Quoi qu’il en soit, les sorcières sont devenues des icônes féministes et contestataires, et surtout un étendard pour les nouvelles militantes féministes, réécrivant l’histoire, et faisant des bûchers le symbole des violences faites aux femmes. Mais il est vrai qu’elles ont élaboré un discours réellement progressiste. Ainsi les sorcières écoféministes ont-elles un discours prochoix en ce qui concerne l’avortement, en défendant l’idée, logique et légitime, que les hommes n’ont pas à légiférer sur le corps des femmes. Cette idée se retrouve chez les premières militantes qui ont vu dans ce mouvement un lieu de liberté d’expression dans une société très conservatrice.
Les adeptes féminines de la Wicca intègrent également des aspects politiques à leurs discours, comme des contenus féministes, assimilés de longue date, mais aussi, plus récemment, des positions altermondialistes, au nom d’une convergence des luttes. Ce courant est très dynamique depuis le début des années 2000, avec notamment une figure tutélaire comme Starhawk (pseudonyme de Miriam Simos), à la fois militante Wicca, féministe et altermondialiste de longue date, dont les livres ont été traduits en français en 2005 (Starhawk, Femme, magie et politique ; Parcours d’une altermondialiste). Cette dernière a beaucoup fait pour intégrer aux différents modes de contestation antiglobalisation la magie opératoire, c’est-à-dire des pratiques rituelles effectives qui relèvent de l’occultisme de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Elle a donné naissance à une néosorcellerie altermondialiste, le point de convergence entre l’altermondialisme et la néosorcellerie étant le féminisme. En effet, un certain féminisme, en critiquant le judéo-christianisme qui aurait avili la femme, entre en résonance avec la pensée païenne de la néosorcellerie, qui insiste sur les supposés liens privilégiés des femmes avec la Nature. Elle s’inscrit également dans la filiation de la contre-culture étatsunienne, née dans les années 1960. Ainsi les prémisses de cette forme de pensée datent-elles du milieu des années 1980, avec des hautes figures comme Zsuzsanna Mokcsay, qui utilise le pseudonyme de Budapest. Ces militantes considèrent que la divinité la plus importante de leur panthéon est la « Déesse », figure religieuse principale de l’Âge d’or de la femme, c’est-à-dire du supposé matriarcat primordial préhistorique. Cette idée est reprise au juriste suisse Johann Jakob Bachofen (1815-1887), qui l’a conceptualisé en 1861 dans Le Droit Maternel. Cette idée a été défendue par la suite par la militante païenne et féministe Marija Gimbutas (1921-1994), en particulier dans l’ouvrage intitulé Le Langage de la Déesse, paru initialement en anglais en 1989 et traduit en français en 2005, ainsi que dans The Civilization of the Goddess, paru en 1991. Ce matriarcat primordial et édénique (il aurait été pacifiste, tolérant vis-à-vis des homosexuels, communiste, etc.) aurait été mis à mal par la conquête des Indo-Européens, peuples impérialistes socialement organisés de façon hiérarchisée. Ce patriarcat n’aurait fait que se renforcer par la suite avec l’avènement du christianisme, qui aurait brimé les femmes et leurs représentantes religieuses, les sorcières. Fort logiquement, ces thèses ont été contestées, et réfutées, par la majorité des préhistoriens, tel Jean-Paul Demoule dans Mais où sont passés les Indo-Européens ?. De fait, le postulat principal de ces néosorcières repose sur l’idée que la grande chasse aux sorcières qui a eu lieu en Europe aux XVIe et XVIIe siècle aurait été un féminicide. Cela soulève plusieurs interrogations.
La néosorcellerie et la recherche scientifique
Premièrement, il est étonnant que ces militantes, promptes à réécrire l’Histoire, ne parlent en aucune façon du contexte historique de cette grande chasse aux sorcières : celui de la Réforme et des guerres de religions, dont on connaît aujourd’hui la violence inouïe. L’acmé de la grande chasse aux sorcières allant de 1580 à 1650. Pourtant, il existe des témoignages, comme celui du démonologue contemporain Jan Wier, dans De praestigiis daemonum (1563), conscient de la violence envers les femmes.
Deuxièmement, les grands historiens de la sorcellerie, Robert Mandrou (1921-1984), Brian P. Levack, Carlo Ginzburg, ou Robert Muchembled par exemple, ne sont jamais cités dans les textes théoriques des néosorcières ou de leurs thuriféraires contemporains. Plus curieusement, Jules Michelet (1798-1874) ne l’est pas non plus, lui qui a pourtant fait beaucoup pour la réhabilitation de la figure de la sorcière, en particulier dans un sens féministe, populaire et païen, avec son ouvrage éponyme paru en 1862. En outre, l’historien français de la sorcellerie médiévale, R. Muchembled a également insisté sur le rôle de la femme comme porteuse de la « culture populaire » des villages et qui serait donc adversaire structurel de la justice de l’État moderne.
Troisièmement, parler de politique étatique est largement anachronique alors que les chasses ont lieu dans un contexte où la technostructure étatique demeure très faible : l’État était alors en gestation théorique, abandonnant progressivement ses aspects féodaux. En outre, en France par exemple, les juges royaux parisiens sont réticents devant les affaires de sorcellerie, synonymes de désordre local.
Quatrièmement, et il s’agit du point le plus important, parler de « féminicide », calqué sur celui de « génocide », est historiquement intenable : cela signifie qu’il y aurait eu un plan délibéré et organisé de la part des États européens pour exterminer la population féminine européenne. Même en l’élargissant au catholicisme, cela ne tient pas scientifiquement, pour deux raisons :
1/la Papauté, tout comme un État, n’a pas les moyens d’exterminer qui que ce soit et ses juges ne peuvent prononcer que des sanctions spirituelles. Plus significativement, dès le milieu du XVIIe siècle, les inquisiteurs sont très dubitatifs face aux sorcières et il n’y eut jamais de chasses de grande envergure dans les territoires où les inquisiteurs sévissent ;
2/la grande chasse aux sorcières eut lieu aussi dans les zones protestantes… Pour qu’il y ait une chasse aux sorcières, il fallait que les villageois fassent un recours auprès du juge urbain, qui déclencherait ou non la chasse. Cela situe l’action dans un cadre conjoncturel (une hostilité d’une partie de la population envers la personne vue comme sorcière) et non pas structurel (politique délibérée de l’État). La grande chasse aux sorcières se place plutôt dans la continuité de la persécution des hérésies et des sectes (au sens religions minoritaires), dans le cadre d’une conquête politique et religieuse des campagnes sur l’impulsion des juges inquisiteurs et laïcs depuis le XVe siècle, plus que dans une volonté d’exterminer les femmes, même si l’antiféminisme est un facteur culturel non négligeable. Ce dernier point relève plutôt de la littérature occultiste du XIXe siècle dont on retrouve les échos chez un Dan Brown.
Cinquièmement, les hérésies médiévales eurent, dès leurs éradications, des historiographies importantes les questionnant. Pour les sorcières, il a fallu attendre le XIXe siècle pour les lire, notamment dans les milieux romantiques allemands. Ce désintérêt va à l’encontre de l’importance supposée de cette chasse aux sorcières pour les mentalités de l’époque. Ces chasses étaient donc considérées comme anecdotiques par les contemporains.
Enfin, il est particulièrement intéressant de noter l’absence chez ces néosorcières, et pour cause, de toute référence à la campagne d’archivage des procès des sorcières par la SS… En effet, la chasse aux sorcières a intéressé les Völkisch (c’est-à-dire les militants ethno-nationaux et racistes de l’Allemagne des années 1900-1930, souvent néopaïens) allemands et le chef de la SS, Heinrich Himmler (1900-1945), très influencé par les premiers. Ainsi, dans les années 1920, Mathilde Ludendorff (1877-1966), seconde épouse du général Erich Ludendorff (1865-1937) et militante païenne-antisémite, vit dans la sorcière une dépositaire de la religion des anciens Germains, victime de la « religion des prêtres » (comprendre les rabbins et les prêtres catholiques). Surtout, elle insiste sur le massacre de « millions de femmes », victimes d’une persécution de l’Église catholique, qui serait à l’origine du déclin de la race germanique. Cette idée, courante dans les milieux nationalistes allemands, fut reprise par Alfred Rosenberg (1893-1945) et par Heinrich Himmler (1900-1945), viscéralement antichrétien et passionné par l’ésotérisme. Il en fit un outil de propagande, la sorcière devenant l’incarnation de la femme germanique opprimée. Il fallait, selon lui, condamner l’action du catholicisme, analysée comme une religion étrangère et hostile au Reich. Pour asseoir son discours, il lança une vaste enquête archivistique sur les chasses aux sorcières dans le cadre d’une section de l’Ahnenerbe, le centre de recherche de la SS. L’enquête, le Hexen Sonderauftrag, faite par des universitaires, dura de 1935 à 1944. Si le travail de la SS est aujourd’hui oublié, sauf des spécialistes des procès en sorcellerie qui utilisent encore le fichier, les thèses de M. Ludendorff sont encore reprises par des militantes allemandes. Elles le sont également par les sorcières Wiccan qui, inconscientes de leur origine, reprennent les chiffres erronés, largement gonflés par ces militants nationalistes et par la SS, du nombre de neuf millions d’exécutions : les universitaires, Levack ou Ginzburg par exemple, les estiment au contraire, et cela est déjà beaucoup, entre 30 000 à 60 000, sur deux générations, principalement en Allemagne, ce pays totalisant 50 % des exécutions durant cette période.
Les « sorcières » qui s’expriment aujourd’hui, ainsi que les livres traitant du sujet, ne sont donc que des réinventions idéologiques et médiatiques de la sorcellerie, mais elles arrivent à conquérir un public. Il s’agit aussi d’une relecture militante de la grande chasse aux sorcières des XVIe et XVIIe siècles. Il est d’ailleurs symptomatique que les universitaires, spécialistes de la question, ne soient jamais cités ou mis en avant par ces sorcières. Plutôt que de parler de sorcières contemporaines, il faudrait d’ailleurs parler de néosorcières, dont les doctrines relèvent du bricolage anthropologique, c’est-à-dire d’une identité faite d’éléments épars piochés dans la culture populaire et l’occultisme contemporain. En ce sens, il y a une grande différence avec certains groupes néopaïens qui tentent de reconstituer une religion antique à partir des travaux d’ethnologues, d’historiens ou de mythologues. La néosorcellerie est une construction postmoderniste de notre hypermodernité.
Bibliographie (uniquement les textes cités)
Bachofen J. J. (2000), Le Droit Maternel : Lausanne, L’Âge d’homme. Demoule, J.-P. (2014), Mais où sont passés les Indo-Européens ? Mythe d’origine de l’Occident, Paris : Seuil. Gardner G. B. (1975), High Magic’s Aid. Wonderful Tale of Medieval Witchcraft : Weiser Books. Gardner G. B. (2020), Book of Shadows. A Magic Journal : Endora Publishing. Gimbutas M. (1991), The Civilization of the Goddess. The World of Old Europe : Thorsons. Gimbutas M. (2005), Le Langage de la Déesse : Paris, Éditions des femmes. Ginzburg C. (1989), dans Le sabbat des sorcières : Paris, Gallimard. Leland C. G. (2010), Aradia, the Gospel of the Witches : Theophania Publishings Leland C. G. (2010) Lévi-Strauss C. (1962), La Pensée sauvage, Paris : Plon. Murray M. (2005), The God of the Witches : NuVision Publications. Murray M. (2013), The Witch Cult in Western Europe : CreateSpace Independent Publishing Platform. Valiente D. (1993), Witchcraft for Tomorrow : Robert Hale Limited. Valiente D. (2018), The Rebirth of the Witchcraft : Robert Hale Non Fiction. Wier J. (1563), De praestigiis daemonum, Bâle.
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