Paris, février 1934

Par INRER

Exalter la “vraie nation” contre les “éléments” qui lui seraient étrangers : cette petite musique parcourt l’œuvre de Michel Onfray, et avec elle les stéréotypes antisémites, racistes et islamophobes.

Le fait de promouvoir les tropes de l’extrême droite historique et de nommer ce projet « Front populaire » constitue un affront indécent au Front populaire et à Léon Blum, cible des antisémites de son temps, roué de coups en février 1936 par des Camelots du roi qui enterraient un historien de l’Action française. Car les références – conscientes ou non, assumées ou non – aux thèmes d’extrême-droite et la participation de personnalités d’extrême-droite au « Front populaire » de Michel Onfray sont indéniables.

Le Front populaire s’est constitué comme une réaction aux émeutes nationalistes et antiparlementaire du 6 février 1934 : il était une alliance des gauches contre l’extrême-droite. L’inspiration de la revue lancée par Michel Onfray — une revue dont le nom indique qu’elle ne veut pas être un journal mais bien l’étendard d’un projet politique — évoque bien plus l’esprit de février 34 que l’esprit du printemps 1936 : il s’agit d’opérer la jonction d’une fraction de la gauche souverainiste avec la droite identitaire et néo-maurrassienne.

Anonyme © Collection La Contemporaine

Cette jonction est celle qu’avait rêvée Drieu La Rochelle lors du 6 février 1934 : dans un passage de son roman Gilles, que le blog de la revue Eléments avait republié en appui aux manifestations des Gilets jaunes (mais en coupant le passage antisémite qui lui servait de conclusion). Drieu La Rochelle y décrivait avec enthousiasme la participation côte-à-côte de « communistes » et de « nationaux » à une même manifestation.

6 février 1934

Dans Le Figaro du 5 juin 2020, Éric Zemmour n’a pas caché les enjeux de la revue montée par Onfray : « La gauche en veut d’autant plus à Onfray », écrit-il, « qu’elle a bien compris l’enjeu idéologique et politique: il s’agit de rassembler les deux pans de droite et de gauche du souverainisme. […] La question de l’immigration, de l’islam, des frontières et de la préférence nationale, de la France qui n’est pas seulement une République mais aussi, mais surtout, un «peuple de race blanche, de religion chrétienne et de culture gréco-romaine», selon la célèbre formule du général de Gaulle, cette question est la mère de toutes les batailles. Pour l’avenir de la France et, donc, pour le rassemblement des souverainistes des deux rives. »

Le récent débat (si ce mot peut convenir pour un échange de compliments et d’applaudissements réciproques) qui a eu lieu sur Cnews le 25 mai 2020 entre Onfray et Zemmour — lequel, on le sait, s’efforce de réhabiliter Maurras et Pétain à coups de grossiers sophismes historiques — a confirmé que les deux hommes partagent une communauté de vues et donc un combat commun (1).

(1) On appréciera notamment ce passage dans lequel Onfray approuve Zemmour qui explique qu’Onfray est « enraciné » et que c’est là ce que la gauche ne lui pardonne pas, indépendamment de toute question politique.

Beaucoup pensent, au sujet des déclarations tonitruantes d’Onfray et d’autres contre l’islam et les musulmans, que celles-ci constitueraient un passeport vaccinal contre les stéréotypes antisémites. C’est mal connaître l’habileté discursive de l’extrême droite qui inspire ces visions : la perception des musulmans comme une menace exogène prend sa source dans celle qui considère les Juifs comme orchestrant cette même menace, les uns et les autres étant également considérés comme étrangers au corps sain de la nation.

Le « vrai Français » n’est ni juif ni musulman : telle est l’inquiétante musique qui accompagne le discours d’Onfray.

“Vous avez un problème musulman parce que vous avez un problème juif”, capture d’écran réalisée par Isabelle Kersimon sur un compte américain d’extrême droite, sur une plateforme fréquentée par des francophones.

On ne doit donc pas minimiser la portée des considérations répétitivement émises par Onfray, au long de sa carrière, sur le judaïsme et le fait d’être Juif, de ses insistances laudatives ou péjoratives sur la judéité de Tel ou Tel, quand tout républicain, mais aussi tout socialiste, communiste, anarchiste ou libertaire se soucie de ne qualifier personne par sa confession, mais par ses idées et son environnement socioculturel : la prose de Michel Onfray au fil des ans révèle un rapport conflictuel au judaïsme des origines, une vision essentialiste de l’identité et de la culture juives, ainsi qu’une instrumentalisation d’Israël dans une guerre des civilisations imaginaire opposant une occidentalité fantasmée à une orientalité musulmane qui l’est tout autant.

2005 : les Juifs exterminateurs, inventeurs de la guerre sainte

S’appuyant sur une lecture grossière de Nietzsche, Michel Onfray a depuis ses débuts campé sur un positionnement de philosophe « solaire » en guerre contre des monothéismes abhorrés, auxquels il oppose la philosophie grecque. En 2005, il publie un Traité d’athéologie dont voici quelques extraits édifiants.

Peuple élu contre tous les autres

• « Les juifs sont le peuple élu (Deut. VII, 6), choisi par Dieu, contre tous les autres, malgré tous les autres » (p. 212).

Outre le fait qu’il ne comprend absolument pas  la notion de peuple élu (voir, qui plus est, la remise en cause qu’opère François Rachline de cette expression) — voire qu’il opère un complet renversement sémantique et théologique —, Michel Onfray insiste sur celle-ci à de très nombreuses reprises, non pas en tant que notion fondamentale du judaïsme, mais en tant que preuve supposée d’un goût « ontologique » (sic) pour les discriminations et la barbarie, assertion logique suivant les prémisses pseudo-philosophiques d’une critique de la religion déshistoricisée et décontextualisée, et qui procède selon la même méthode que celle des intégristes religieux qui accusent « l’athéisme » d’être responsable des crimes de Staline.

• « Un juif évitera d’utiliser un des siens comme esclave […] En revanche, un non-juif peut demeurer à l’état serf jusqu’à sa mort. […] Yahvé […] fait des juifs un peuple libre, pouvant soumettre mais n’ayant pas à être soumis à une autre puissance que celle de Dieu. Les droits du peuple élu… » (p.248)

• Yahvé aurait initié « ce qu’il convient bien de nommer le premier génocide: l’extermination d’un peuple » (p. 213).

Le thème d’un Yahvé génocidaire permet à Onfray d’effacer l’histoire des religions et de faire oublier que l’antisémitisme historique trouve une part de ses racines dans la rivalité du christianisme, qui se présente comme universel, avec le judaïsme dont il est issu et dont il entend prendre la place. Rappelons que l’élection du peuple juif est synonyme de devoir moral — elle est une charge —, et non pas de préférence divine qui supposerait une supériorité et des privilèges. D’autre part, que le judaïsme soit la religion d’un peuple n’a rien qui justifie la polémique : il en allait de même  des religions païennes et de toute religion antique.

Depuis quelques années, principalement depuis que la mouvance autour de Soral et de Dieudonné a essaimé sur internet, la notion de peuple élu, détournée de son sens initial, est elle aussi redevenue un motif classique de l’expression antisémite. Dans un entretien accordé à Lyon Capitale en 2002, Dieudonné, encore considéré comme un humoriste engagé contre le Front national, déclarait d’ailleurs : « Le racisme a été inventé par Abraham. “Le peuple élu”, c’est le début du racisme. […] Pour moi, les Juifs, c’est une secte, une escroquerie. C’est une des plus graves parce que c’est la première. » Quelques années plus tard, il feint de s’excuser dans un spectacle intitulé « Je m’excuse », utilisant une fois de plus la formule « peuple élu » dans ce sens totalement tronqué.

Les Juifs inventent la guerre sainte

Telle est l’accusation lancée par le Traité d’athéologie entre les pages 218 et 233 :

• « L’interdit juif de tuer et simultanément l’éloge de l’holocauste par les mêmes » ;

« Les juifs invent[ent] la guerre sainte » ;

« [Yahvé] justifie les crimes, les meurtres, les assassinats, légitime la destruction des innocents – tuer les bêtes comme les hommes et les hommes comme les bêtes ! Humain tant qu’il ne s’agit pas de Cananéens » ;

« Le peuple élu exhaussé, les autres peuples enfoncés, logique cohérente » ;

« Ces textes [la Torah] invitent à la boucherie généralisée ».

Onfray peut s’offusquer que des historiens le lisent, il ne pourra pas nier les faits historiques. Il est utile de rappeler ici que l’idée selon laquelle les Juifs seraient exterminateurs et inventeurs de l’extermination fut un classique du discours nazi sur l’origine de la seconde guerre mondiale, et popularisée après guerre dans le monde entier par les réseaux négationnistes d’extrême droite, jusque chez les révolutionnaires d’extrême gauche qui prirent fait et cause pour le terrorisme palestinien, ainsi que chez les différentes obédiences islamistes, présentant des Juifs israéliens l’image d’anciennes victimes devenues bourreaux, de victimes du nazisme devenues nazies à leur tour.

Cette abjecte inversion des bourreaux et des victimes obéit à la même logique perverse que les propos tenus par Dieudonné dans Lyon Capitale (ibid.) : « Les musulmans aujourd’hui renvoient la réponse du berger à la bergère. » Ou encore ceux prononcés par Alain Soral dans un Complément d’enquête, l’année précédente : « Ça fait quand même deux mille cinq cents ans que chaque fois qu’ils [les Juifs] mettent les pieds quelque part, au bout de cinquante ans, ils se font dérouiller. » (2)

(2) La volonté de trouver dans la lettre de la Torah ou du Talmud une cause criminelle et un moyen d’imputer aux Juifs des violences survenues dans des contextes historiques disparates n’est pas propre à Onfray. La technique consistant à sélectionner des extraits du Talmud dans un but accusatoire se retrouve aussi bien dans certains sites de propagande islamiste que chez Soral. Le procédé se trouve déjà dans la littérature antisémite de la fin du XIXe siècle. Marc Angenot (dans son livre Ce que l’on dit des Juifs en 1889) commente ainsi la préface qu’Albert Savine,  l’éditeur de Drumont, a demandée à un dénommé Pontigny (auteur resté anonyme et introuvable) pour la traduction d’un classique de l’antisémitisme autrichien rédigé par l’antisémite August Rohling : Der Talmudjude ou Le Juif selon le Talmud (une expression dont on notera qu’Alain Soral l’a faite sienne en parlant compulsivement de « Juifs talmudiques ») : « La thèse du préfacier est simple : la cause et la clé de la conquête juive sont dans le Talmud, « livre de la haine universelle (…) contre tous les peuples de la famille humaine » (p. 7). » Angenot commente : « La “Préface” est enthousiaste. L’antisémitisme, prophétise-t-il, sera «l’événement capital de cette fin de siècle» (p. XVI). C’est que le  Juif «omniprésent et omnipotent» rêve «la revanche du Talmud sur l’Évangile» (p. III); «ce qui domine chez ces êtres c’est la haine et le mépris du goy» (p. IV). Le Juif est «le boursier triomphant» et «le journaliste influent» (p. IV). À cette conspiration ubiquitaire, Rohling apporte donc une explication: «aucun doute (…) sur l’authenticité des textes» qui permettent de pénétrer enfin «dans le cerveau du Juif» et de montrer «la logique secrète de faits que nous avions peine à comprendre». (p. II) Cette logique secrète, à l’affût de laquelle Drumont dépouillait assidûment la presse et la chronique, était donc dans un document religieux de l’Ennemi même. Cette ultime confirmation est l’aboutissement argumentatif nécessaire de la logique antisémitique. »

Le “fanatisme sectaire” du monothéisme

Le Traité d’athéologie a été publié en 2005. Depuis quelques années, Michel Onfray s’est rapproché d’Alain de Benoist. En mars 2015, il prétend qu’Alain de Benoist a changé et qu’il « peut avoir des idées justes ». En octobre de la même année, il fait la une d’Éléments. En 2016, Alain de Benoist et Michel Onfray se sont entretenus dans l’émission animée par le premier sur la web-tv d’extrême droite TV-Libertés – « Les idées à l’endroit » –  au sujet de… Proudhon. La vidéo a disparu du site de TV-Libertés, mais l’INRER la possède en archive. En voici un extrait :

En mai 2017, Michel Onfray se produisait dans un colloque sur Proudhon organisé par les revues de la Nouvelle Droite Éléments et Krisis, aux côtés notamment d’Alain de Benoist et de Thibaut Isabel.

On doit notamment à Alain de Benoist, représentant de la « Nouvelle Droite » [l’INRER va prochainement publier un article de l’historien Stéphane François sur Alain de Benoist], une “production théorique” qui a permis à l’extrême-droite en général et au Front National en particulier de renouveler son logiciel raciste en logiciel relativiste, culturaliste, voire prétendument « antiraciste » au nom de la préservation culturelle et biologique des peuples (puisque la conquête électorale est supposée se jouer en amont, sur le terrain culturel).

Onfray ne fait que répéter des analyses publiées dans les années 1979-1980 justement dans Éléments, sous la plume de Pierre Vial, par exemple :

« Le fanatisme sectaire trouve son origine dans le monothéisme des “religions du Livre” : les fils d’Abraham n’ont jamais pu admettre ne pas être les seuls détenteurs d’une vérité unique »

Ou encore sous la plume de Robert de Herte, l’un des nombreux pseudonymes utilisés par Alain de Benoist :

« Sous les noms les plus divers, les valeurs chrétiennes ont tout infecté … La barbarie à visage divin n’a pas fini de pointer son vilain museau, “Ein Volk, Ein Reich, Ein Gott : un peuple, un Reich, un dieu unique” »

Il va sans dire qu’Alain de Benoist appuie la création du “Front populaire” de son ami Onfray.

2010 : Freud, l’éradicateur et le pornographe

En 2010, Onfray retrouve d’inquiétants accents dans sa charge « psycho-biographique » contre le père de la psychanalyse intitulée Le crépuscule d’une idole : l’affabulation freudienne, dans laquelle il présente le médecin viennois comme un menteur, un dissimulateur, une mystification, un fabulateur cocaïnomane qui aime l’argent :

Le registre de sa charge n’est pas celui d’une critique argumentée de la psychanalyse, mais d’une caricature qui fait de Freud la figure d’un profiteur malhonnête, sur fond de judéité, de charlatanisme et d’appât du gain. Lors d’une présentation de l’ouvrage avec la librairie Mollat, Onfray insiste sur le fait que la psychanalyse est « très rentable » et que les revenus qu’elle génère échappent au fisc.

Le livre d’Onfray est « un brûlot truffé d’erreurs et traversé de rumeurs », écrit alors l’historienne et psychanalyste Elisabeth Roudinesco, qui relève les erreurs factuelles du livre et note qu’il « réhabilite le discours de l’extrême droite française avec lequel il entretient une réelle connivence ». « Il prétend révéler des choses que tout le monde connaît et fait des amalgames »« Michel Onfray y traite les Juifs, inventeurs du monothéisme, de précurseurs du nazisme et Freud d’abuseur sexuel, admirateur du régime de Mussolini et complice du régime hitlérien par sa théorisation de la pulsion de mort », analyse Mme Roudinesco. « Il fait de la psychanalyse une science fasciste fondée sur l’adéquation du bourreau et de la victime. »

Sur son blog hébergé par Mediapart, Michel Onfray, lui répond qu’il est « tout juste un goy terroir du bocage de Basse-Normandie », une formule saluée par Soral. Il ne répond donc pas à Roudinesco en tant que psychanalyste, mais en tant que juive. On retrouvera cette dichotomie utilisée comme explicitation dans la préface qu’Onfray accordera à l’ouvrage de l’ancien gréciste Thibaud Isabel sept ans plus tard (voir ci-dessous).

À l’idée selon laquelle les Juifs sont les précurseurs du nazisme, qu’Onfray a déjà développée dans Traité d’athéologie et renouvelée deux ans plus tard dans son apologie mimétique de Jean Soler, vient s’ajouter, dans ce brûlot contre Freud, le trope du Juif pornographe, corrupteur des mœurs par l’introduction dans l’esprit européen d’une fausse science (charlatanerie, sorcellerie), lequel aurait en outre universalisé ses fantasmes et, par la diffusion de la croyance en l’inconscient, contaminé les esprits : en fin de compte, le Juif est toujours cette figure parasitaire qui menace la société dans laquelle il vit.

2012 : la tribu haineuse de Jean Soler

Le 7 juin 2012, Michel Onfray livre, dans Le Point, un article apologétique, dans lequel il présente « Jean Soler, l’homme qui a déclaré la guerre aux monothéismes » comme un dynamiteur d’idées reçues. Mais quelles idées reçues ?

Selon Soler, la religion juive est non « pas monothéiste, mais monolâtrique » car « elle enseigne la préférence d’un dieu parmi d’autres » et aurait inventé la haine raciale, le génocide et la purification ethnique.

Soler affirme aussi que le Commandement Tu ne tueras point « est un commandement tribal » qui « concerne le peuple juif et non l’humanité dans sa totalité ».

On comprend aisément que Michel Onfray se réjouisse de telles assertions, en accord parfait avec les siennes dans le Traité d’athéologie. Mais s’agit-il d’une connivence intellectuelle ou d’un engouement pour cet auteur qu’il cite déjà en 2005, dans la bibliographie de son Traité ?

Les propos tenus par Onfray dans cet article et leur tonalité générale déclenchent de nombreuses réactions.

Le rabbin Yeshaya Dalsace exprime, dans les colonnes du Point, le grand malaise qu’il ressent à « voir un journal aussi sérieux laisser passer des allégations aussi médiocres, au point de se demander si on lit du Onfray ou un avatar d’une médiocre littérature antijuive qu’on croyait dépassée, le tout dans un climat français où assassiner un Juif à bout portant ou le tabasser est devenu chose possible ».

2015 : l’éditeur juif libéral cosmopolite

« C’est peu de dire que M. Onfray aime jouer avec les ambiguïtés », écrit Laurent Joffrin dans un éditorial de mai 2020, dans Libération. Joffrin rappelle qu’en 2015, dans Le Point encore, Onfray a publié un court texte consacré à son éditeur Jean-Paul Enthoven : « Il y décrit l’amitié et l’estime qui lient deux hommes aux antipodes. « Il est urbain et parisien, je suis campagnard et provincial ; il est à l’aise dans le monde des gens de lettres, j’y suis comme un sanglier ; il est un juif libéral cosmopolite, je suis un descendant de Viking enraciné. » Décidément…

2017 : Marx Juif apatride vs Proudhon ouvrier de-souche

L’opposition – vraiment récurrente –  entre enracinement et cosmopolitisme est reprise par Michel Onfray dans sa préface au livre Pierre-Joseph Proudhon. L’anarchie sans le désordre (éd. Autrement, 2017) de Thibault Isabel — lequel est l’ancien rédacteur en chef de Krisis, la revue théorique de la Nouvelle Droite. Et l’un des principaux auteurs de Front populaire

La première ligne de cette préface oppose l’anarchiste français « issu d’une lignée de laboureurs francs » de Karl Marx « issu d’une lignée de rabbins ashkénazes ».

Suite à la diffusion par l’INRER de ce texte, certains naïfs, tel Jack Dion dans Marianne, ont protesté aussitôt : « il est bien vrai que Marx descendait de rabbins, cette phrase est donc irréprochable ». Oui, elle serait irréprochable si elle figurait quelque part dans une biographie de Marx, par exemple. Mais, dans le contexte précis de la rhétorique de cette phrase, son sens est d’abord dans sa fonction. Et sa fonction est de présenter Marx comme un repoussoir par rapport à Proudhon — lequel sera présenté comme un laissé-pour-compte dont il faudrait redorer le blason, par comparaison avec une autorité philosophique dont les torts et les vices seraient d’être un juif et un bourgeois, donc un privilégié. Comme si, en sus, le destin de Proudhon avait été commandé par les succès de Marx et commandité par lui. Or cette présentation partiale et sommaire n’est jamais qu’une façon de reconduire, de façon manichéiste, des clichés de la rhétorique antisémite — clichés en outre fondés sur des préjugés antiélitistes et naturalistes, propres au souverainisme

Onfray veut donc faire un éloge de Proudhon. Commence-t-il par nous dire, pour mettre Proudhon en valeur, pourquoi Proudhon est important ? Nous explique-t-il en quoi son apport est toujours valable, notamment sur le plan des idées ? Nous dit-il, par ailleurs, comment il est possible de recueillir l’héritage de Proudhon en le dissociant de ce qu’il comporte d’insupportable, à savoir le terrifiant antisémitisme de Proudhon, sa misogynie bornée et brutale, ses compromissions avec le bonapartisme ?

Non.

Non seulement le premier temps de l’éloge consiste à opposer Proudhon à Marx, comme si, pour faire apprécier un auteur, il fallait en dénigrer un autre (ce qui est déjà une bassesse) ; mais le premier mot de ce premier temps consiste à souligner que Marx est juif, plutôt que révolutionnaire par exemple — pour mettre en valeur le fait que Proudhon, lui, ne l’est pas mais a le mérite d’être un « Franc » enraciné dans sa terre.

« Contrairement à Marx, Proudhon n’est pas juif » : voici donc ce qu’Onfray trouve à dire en premier lieu pour faire l’éloge de Proudhon.

Et il y revient plus loin : « Marx est un juif dont le père s’est converti au protestantisme afin de pouvoir exercer son métier d’avocat ».

On notera que « juif », ici, est une assignation purement raciale. Marx n’a reçu aucune éducation religieuse juive ; ses textes de jeunesse témoignent plutôt d’une culture luthérienne. La formulation même « un juifdont le père s’est converti au protestantisme » est bizarre : elle donne l’impression que Marx était juif par essence et que « l’essence juive » de Marx était indépendante de la conversion de son père (qui s’est pourtant converti avant la naissance de Karl) : paradoxalement, le parcours biographique nie l’individualité de Marx et la complexité de son existence, en le réduisant à ses origines. La formulation correcte aurait été : « Marx était le fils d’un juif séculier converti au protestantisme ». Mais Onfray tient à insister sur ce point : ce qui caractérise Marx, c’est bien sa judéité, il ne saurait trop le répéter.

En quoi cette judéité est-elle pertinente pour comprendre Marx et pour comprendre Proudhon ? On n’en saura rien. En revanche, il est manifeste que cette judéité s’insère dans un réseau d’associations qui vise à disqualifier le mauvais Marx par opposition au bon Proudhon.

Marx figure d’abord, dans le texte d’Onfray, le juif apatride par opposition au terrien enraciné ; il figure ensuite le fils de bourgeois éduqués par opposition au paysan modeste.

Onfray ne dit pas un mot du fait que les engagements politiques de Marx l’ont conduit dans la pauvreté pour le reste de sa vie, tandis que Proudhon a mené la vie d’un propriétaire confortablement installé ; en définissant Marx comme un « héritier », il efface le fait que Marx et son épouse ont tous deux radicalement rompu avec leur milieu et ont refusé leur héritage, au risque de la misère. De ces faits, qui viendraient déranger le tableau que fixe à l’avance l’idéologie, Onfray ne veut rien savoir : il ne parle pas de faits, il parle de valeurs. Et ces valeurs sont claires : du côté du Bien, le « Franc » (sic)de souche ; du côté du Mal, le juif bourgeois et apatride. Du côté du mal, la série de signifiants « juif-université-bourgeoisie-cosmopolitisme » ; du côté du bien, la série « franc-paysannerie-enracinement ». Maurras n’aurait pas dit mieux (3).

(3) Cette préface d’Onfray, très courte et très vide, ne dit par ailleurs rien de substantiel sur Proudhon. Onfray se contente d’accuser Marx d’être responsable des morts du bolchévisme et félicite Proudhon de n’avoir pas été Marx — une félicitation qu’on pourrait adresser à beaucoup de monde. Dans la mesure où Onfray estime légitime de dénoncer Marx pour ses origines bourgeoises, on se demande pourquoi il ne dit pas un mot de l’antiféminisme et de l’antisémitisme de Proudhon. Car Proudhon fut aussi un antiféministe radical, exigeant que les femmes soient confinées dans la sphère domestique (au plus loin d’Engels qui dénonçait la condition faite aux femmes en disant qu’elles étaient « les prolétaires des hommes ») ; il fut un antisémite virulent, demandant que la « race juive » soit « renvoyée en Asie ou exterminée » (propos qui n’ont aucun équivalent chez Marx, dont l’article Sur la question juive, en dépit des insupportables stéréotypes antisémites qu’il développe, n’en demande pas moins l’égalité de droit inconditionnelle pour les juifs, sans qu’ils aient à renoncer à leurs pratiques religieuses). Il est certain qu’on ne saurait pas plus réduire Proudhon à cette face noire de sa pensée, mais le problème est que Michel Onfray pratique l’indignation sélective : Marx aurait tous les torts, quand Proudhon incarnerait une figure d’intégrité morale qu’il n’était pas. Quant au livre de Thibaut Isabel, qui ne contient ni notes ni bibliographie, il représente le cas extrême d’un essai écrit en toute ignorance des recherches menées sur l’auteur dont il traite, à commencer par les formidables travaux d’édition critique qui ont lieu les dernières années, tant pour les ouvrages publiés par Proudhon que pour ses manuscrits inédits. Il est vrai qu’il ne s’agit pas ici de travailler à la compréhension historique d’un auteur, mais de le récupérer pour un camp politique.

2020 : Le peuple sûr de lui et dominateur

Le 3 juin 2020, dans l’émission « Élie sans interdit » diffusée par la chaîne franco-israélienne i24News, Michel Onfray déclare : « La civilisation juive s’aime, s’apprécie, et estime qu’elle n’a pas à faire de génuflexions devant toutes les autres civilisations. Ni qu’elle devrait présenter ses excuses pour pouvoir exister. »

Israël dominant, les Juifs encore belliqueux

D’une part, évoquer une « civilisation juive » à laquelle « toutes les autres civilisations » auraient demandé de « faire des génuflexions » et de présenter des « excuses pour pouvoir exister » est une dystopie : c’est oublier d’un côté l’expérience traumatisante d’Auschwitz qui engage la responsabilité historique des pays européens, d’un autre que les Juifs forment une minorité encore menacée (cf. à ce sujet les études sur le haut niveau d’antisémitisme en France). Mais plus encore, c’est présenter ici Israël comme la seule histoire juive au long des siècles, et par amalgame présenter les Juifs (groupe culturel et ethnique hétérogène qui ne se réduit pas à Israël) comme ce « peuple sûr de lui et dominateur » et, au-delà, installer Israël/les Juifs dans le rôle de fers de lance d’une guerre fantasmée entre musulmans et non-musulmans. Enfin, Onfray est ici dans une projection de toute-puissance des Juifs et il n’est pas exagéré de penser que cette hypothétique « présentation d’excuses » réfère au « sanglot de l’homme blanc », homme blanc censé être accablé par le devoir de s’excuser du colonialisme et harassé par une hypothétique « tyrannie des minorités ». Israël/les Juifs deviennent donc, ici, l’allégorie d’un Occident harcelé par ce qui n’est pas occidental, et qui n’a pas le courage de ne pas « présenter des excuses pour pouvoir exister ».

Si l’on suit la logique sous-jacente de ce discours, on pense aussi nécessairement aux discours d’extrême droite contre la reconnaissance par le Président Chirac des responsabilités de l’État français dans la déportation de près de 76 000 Juifs, vécue par elle comme une insupportable « génuflexion » (de l’homme blanc) pour « avoir le droit d’exister sans s’excuser ». Voir Jean-Marie Le Pen en 2007 et Marine Le Pen en 2017.

Une admiration pour Daech aussi

Le fantasme du courage et de la domination positive, Michel Onfray l’a d’ailleurs exprimé à l’égard de Daech dans un entretien donné au Point suite aux attentats du 13 novembre 2015. Il y exprime sa vision de philosophe expert militaire en expliquant que Daech attaque la France parce qu’elle est islamophobe et en demandant l’ouverture de relations diplomatiques avec le groupe terroriste : « Si nous continuons à mener cette politique agressive à l’endroit des pays musulmans, ils continueront à riposter comme ils le font. La France devrait cesser cette politique islamophobe alignée sur les États-Unis. Elle devrait retirer ses troupes d’occupation ».

Maurice Szafran s’en émeut à raison dans Challenges quatre jours plus tard : « Il nous semblait que la coalition, ainsi que les forces russes, s’en prenaient aux tueurs-terroristes islamistes de Daech. Mais, selon Onfray, il ne faut pas accepter ce nouveau coup de force, sémantique cette fois, des occidentaux exigeant que l’État islamique (EI) soit débaptisé Daech. Parce que, Onfray l’affirme, EI a raison de se revendiquer comme… État ! », ajoutant : « Pas l’expression du moindre élan chez Onfray envers les victimes, à vous en glacer les sangs. Le gaucho-islamiste le plus radical n’aurait pas osé. Onfray si, Onfray, lui, ose tout puisqu’il estime que son statut de “grand” philosophe le protège. »

Szafran note aussi l’admiration qu’éprouve Onfray pour les tueurs de Daech, qu’il qualifie non pas de terroristes, mais de soldats. Des soldats qu’il faut respecter, selon Éric Zemmour.

Mais ces saillies pro-Daech n’étaient pas une première en 2015. Deux ans plus tôt, Michel Onfray avait déclaré chez Jean-Jacques Bourdin que les djihadistes avaient raison d’appliquer la charia au Mali : « On ne va pas faire la loi chez les musulmans. Les musulmans sont chez eux. Dans ces cas là, pourquoi on ne va pas faire la loi en Israël… Il faut arrêter de faire la politique coloniale qui est la nôtre, sous prétexte que ce seraient les Droits de l’homme qui nous animeraient ! »

Il s’était fait épingler par un ancien des Renseignements, connu pour son expertise des groupes terroristes islamistes, écrivant sous le pseudonyme de Abou Djaffar : « “La France dispose d’une technologie de pointe pour mener une guerre haut de gamme contre des adversaires qui combattent en djellaba, chaussés de tongs, se déplacent en pick-up et font trembler le gouvernement français en pouvant rafler dans n’importe quel endroit du pays une poignée de Blancs transformés en otages, ce qui paralyse immédiatement l’action militaire.” [avait écrit Onfray dans Le Monde le 21 avril 2013]

« Fascinant de voir comme les clichés racistes les plus éculés émergent, au détour d’une phrase », tacle l’expert dans son texte particulièrement cinglant, poursuivant : « Les jihadistes en djellabas et en tongs ? Vous avez déjà porté des tongs sur un terrain rocailleux ? Et les djellabas ? Pas bien commode pour courir, mais admettons. Il manque quand même le passage où vous parlez des chèvres qui subissent les derniers outrages, mais ce sera sans doute pour votre livre, définitif comme il se doit, sur le jihadisme. À quand quelques pages sur le cyber, il paraît que c’est follement tendance. »

Nul étonnement que les propos de Michel Onfray aient été repris dans une vidéo du groupe Daech. Le 16 novembre 2015, le célèbre journaliste David Thomson expliquait sur France Inter que l’autoproclamé philosophe était en train de devenir une des « coqueluches » de l’EI : « Onfray est traduit en arabe, il est partagé sur tous les comptes pro-EI parce qu’il reprend mot pour mot le discours de l’EI. »

Mais la popularité de Michel Onfray auprès des groupes djihadistes ne s’arrête ni en 2016, ni à un seul groupe terroriste. Nicolas Hénin, consultant et auteur, note dans un tweet le 24 mai 2020 que « depuis le temps, notre Michel tricolore a recruté des groupies au-delà de chez Daech. Côté Al Qaeda, Zawahiri l’a inclus dans le second épisode de sa longue vidéo (légèrement divagante) Awareness ». L’expert ajoute que cette vidéo du chef de l’organisation terroriste a été publiée ce printemps.

Il est assez extraordinaire de voir le défenseur de « l’hédonisme » dénoncer le « matérialisme trivial » de notre époque ; encore plus extraordinaire de relire ces dénonciations de la « politique islamophobe » de la France contre Daesh. Onfray, qui utilisait hier à tort et à travers le terme d’islamophobie, n’éprouve aucun scrupule aujourd’hui à évoquer le danger de guerre civile que ferait peser sur la France la présence de ce qu’il décrit comme une cinquième colonne musulmane en attente de soulèvement (thème qui, pour le coup, peut être dit islamophobe), tout en continuant à promouvoir le discours des djihadistes, pour qui “c’est prescrit dans le Coran” et qui espèrent une guerre civile. (4)

(4) Voir l’entretien de Michel Onfray avec la revue Canadian Jewish News, le 18 mars 2020 : «  … c’est le vrai problème français : la communauté musulmane qui va vers les dix millions de personnes est structurellement antisémite et antisioniste. C’est prescrit dans le Coran et la vie guerrière du Prophète témoigne en ce sens. […] Si la centaine de territoires perdus de la république venait un jour à prendre les armes pour se soulever, la communauté juive aurait du souci à se faire, hélas, trois fois hélas… »

Ce déplacement réthorique du trope antisémite de la « cinquième colonne » sur les Français musulmans est devenu un classique sous de nombreuses plumes antimusulmanes plus ou moins assumées depuis quelques années.

Le discours paranoïaque qui dénonce pêle-mêle la lutte contre Daesh, « l’État maastrichtien » (entité inexistante sur le plan juridique mais constituée comme une puissance étrangère) et la menace musulmane peut bien se prolonger dans une « défense d’Israël » qui ne voit en Israël qu’un rempart extérieur de l’Occident ; il  ne constitue certainement pas  un vaccin contre la tentation antisémite, comme en témoignent de nombreux discours d’extrême droite.

Sans aller chercher un exemple  extrême comme celui de Lucien Rebatet, antisémite virulent des années 1940 qui manifesta après 1967 son soutien à Israël sans rien regretter pour autant de son passé collaborationniste, on peut citer le simple cas de Marine Le Pen, s’affichant, contrairement à son père dans la seconde partie de sa vie politique – car dans la première, il avait aussi soutenu Israël, mais sa tentative de séduction avait échoué, comme l’ont explicité Judith Cohen-Solal et Jonathan Hayoun – (5), comme « pro-Israël », tout en allant danser au bal de néonazis autrichiens, le jour anniversaire de la commémoration de la Shoah.

(5) Voir leur enquête La main du diable, comment l’extrême droite a voulu séduire les Juifs de France, éd. Grasset, 2019.

Ce dossier en deux parties a été rédigé par Isabelle Kersimon et Jean-Yves Pranchère avec l’aide de Fabien Aviet et Frédéric Fichefet.


Pour connaître la pensée de Proudhon dans sa complexité et dans ce qu’elle a de plus intéressant, plutôt que de lire des essais hâtifs et sans rigueur qui veulent enrôler Proudhon dans la cause de l’extrême droite, on consultera le Dictionnaire Proudhon (Bruxelles, Aden, 2011), œuvre des meilleurs spécialistes, qui est désormais consultable en ligne.

Et concernant l’opposition de Marx à Proudhon, on lira avec profit, outre Misère de la philosophie (le célèbre livre de 1847 intégralement consacré à la critique de Proudhon), la lettre récapitulative, mêlant hommage et critique, que Marx a consacrée à Proudhon lors de la mort de celui-ci, en janvier 1865.


Sources  :

Marc Angenot, Ce que l’on dit des Juifs en 1889 – Antisémitisme et discours social, Presses Universitaires de Vincennes, 1989

Marc Angenot, «Chapitre 12. « La France aux Français »», Médias 19 [En ligne], Publications, D. Ethnocentrisme, classocentrisme, 1889. Un état du discours social, mis à jour le : 30/07/2013

Nicolas Appelt, « La pensée de comptoir de Michel Onfray », Esprit 2016/12 (Décembre), pages 22 à 24

Nicolas Chevassus-au-Louis, « La petite usine de Michel Onfray Enquête sur un homme qui se prenait pour un volcan », Revue du Crieur 2015/1

Jean-Paul Gautier, De 1945 à nos jours, Les extrêmes droites en France, éd. Syllepse, 2017

Elisabeth Roudinesco (dir.), Guillaume Mazeau, Christian Godin, Franck Lelièvre, Pierre Delion, Roland Gori, Mais pourquoi tant de haine ?, éd. du Seuil, 2010

INRER : Karl Marx a-t-il le nez crochu ?

Sur Onfray et Soler, lire : Les bourdes (bibliques) de monsieur Onfray, Du ressentiment à l’effondrement de la pensée : le symptôme Onfray, Onfray, levez-vous ! et Michel Onfray accusé d’antisémitisme… et d’amateurisme

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3 Responses

  1. Merci pour ce travail extrêmement ouvragé!
    Vous dites: La première ligne de cette préface oppose l’anarchiste français « issu d’une lignée de laboureurs francs » de Karl Marx « issu d’une lignée de rabbins ashkénazes ».
    Le texte en question que vous reproduisez juste après parle de ‘lignage’ pour Marx et de ‘lignée’ pour Proudhon.
    Ces deux termes sont-ils selon vous également porteurs de sous-entendus? On parle de haut, de pur lignage.
    Merci pour votre travail.

  2. Très intéressant et utile rappels. L’antisémitisme conscient ou non d’Onfray est une évidence qu’il convient de rappeler.
    Critiquer l’imposteur en philosophie et le falsificateur en histoire, c’est ce que je fais modestement sur mon mur FB. Merci.

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